Description

Mais aussi avec bien d'autres moyens de transport parfois des plus surprenants... Le 1er juillet 2010, je pars de Bretagne à vélo. Arrivé au Maroc, je traverse l'océan Atlantique en voilier-stop. Je passe ensuite un an et demi en Amérique du sud. Puis d'avril 2012 à septembre 2013, je traverse l'océan Pacifique en voilier. Enfin, en mars 2014, je reprends le vélo pour rentrer en France depuis Bangkok, en suivant la route de la soie à travers la Chine et l'Asie Centrale...

lundi 27 octobre 2014

Iran : trois à vélo de Téhéran à Tabriz (3)

Quelques photos de Pascal Lachance suffiront à exprimer l'essentiel...

Tour Azadi

De retour à Téhéran, Suzana, Pascal et moi n'avons pas beaucoup le temps d'en profiter. Nous passons cinq jours à courir dans tous les sens, écumant tous les bazars de la ville, pour nous racheter tout ce qui nous manque avant de reprendre la route.

Susana posant pour l'excellent site web : Women on Wheels

Le 12 octobre, par solidarité avec le peuple iranien, nous partons de la Tour Azadi, la Tour de la Liberté de Téhéran. Alors que nous prenons la direction Tabriz, il y a un beau soleil et les températures sont idéales pour rouler, ainsi que pour dormir sous nos tentes (20 degrés environ en journée).



En chemin, nous nous arrêtons visiter la vallée d'Alamut, d'une incroyable beauté sous ses couleurs automnales, où se trouvent les ruines de la forteresse des Haschichins, célèbre secte de brigands du Moyen-Age.

Vue du haut du château des Haschichins : planant...
Visite de la Vallée d'Alamut en taxi jaune

Nous retrouvons les joies du camping sauvage. Une nuit dans un verger, une autre un beau champs nous accueille mais, quand il pleut, n'importe quel abri de fortune fait l'affaire...




Et justement les jours suivants, la pluie se met de la partie. Puis les températures commencent à baisser, baisser, baisser, jusqu'en dessous du zéro degré. Non, mes cheveux n'ont pas repoussé dans une version Jackson Five, mais en dormant avec ma toque turkmène en pure peau de mouton, je m'assure des nuits bien protégées contre le froid !




Et on finit par se payer une première tempête de neige ! C'est une difficile entrée dans mon premier hiver dans l’hémisphère nord depuis quatre ans. Pas du tout équipés en conséquence, nous sommes littéralement congelés : arrêt obligatoire tous les 5 kilomètres pour éviter les engelures.




Heureusement cette première petite dépression ne s'attarde pas plus de deux jours et nous arrivons sains et saufs à Tabriz, où nous retournons faire des courses, dans l'antique bazar de la ville, à la recherche d’équipements nous permettant d'affronter des températures polaires.

Ci-dessus : juste pour montrer que la route n'est pas toujours aussi belle...
Ci-dessous à Marand, Akbar Naghdi, médaille d'or des Warm Showers !

 Durant les 31 derniers mois, il a accueilli et photographié 484 cyclistes passant par sa ville.
A peine arrivés en ville, il est venu nous trouver :
" Je vous attendais, on m'a informé que trois nouveaux cyclistes venaient par ici "
Il a le coeur sur la main. Il est lui-même cycliste et marathonien.

Demain, nous repartons tous les trois pour une dernière journée de vélo ensemble. Après quoi Susana et Pascal se dirigeront vers la Turquie et moi vers l’Arménie. J'ai voyagé quatre mois avec Pascal et deux avec Susana. C'est pas évident de dire au revoir, même si nous savons que le voyage nous impose cela sans cesse : une alternance de nouvelles rencontres, de partages intenses et de séparations.

lundi 6 octobre 2014

Petit tour en la Perse d'hier avec des mots d'aujourd'hui (2)


Susana à gauche, Jacques à droite et mollah Pascal au centre,
notre amie tentant d'adapter la réglementation vestimentaire féminine à son propre style

Le 23 septembre, en ce premier jour d'automne, Pascal et moi arrivons à Téhéran. Nous y retrouvons Susana, une cycliste espagnole avec qui nous avons passé trois semaines à Bishkek. Nous décidons de partir tous les trois, faire un petit tour d'Iran en bus, en laissant nos vélos dans la capitale. C'est une longue remontée dans le temps : architecture de l’époque des Safavides à Ispahan, l'antique Persépolis de l'Empire Perse des Achéménides près de Shiraz, ziggourat mésopotamienne de Choqa Zambil près de Sush (où il fait plus de 40 degrés à l'ombre ! ), puis la ville kurde de Kermansha à seulement 200 kilomètres à vol d'oiseau de Bagdad. Dans cet article, je ne m'étendrais pas sur les incomparables splendeurs patrimoniales de l'Iran, qui incontestablement valent le coût, à elles seules, de faire le voyage sur place. Je vais plutôt tenter d'exprimer certains aspects que j'ai perçu de la société iranienne, même s'il est vraiment difficile, en peu de mots, de faire un portrait objectif d'un pays aussi riche, varié et complexe.




Dans toutes les institutions et sur de nombreuses pancartes publiques apparaissent les photos de l'Imam Khomeini, qui a conduit la révolution de 1979, et de l'Imam Khamenei, qui lui a succédé en 1989, devenant le nouveau leader à vie du Chiisme. Le peuple a porté au pouvoir ces hommes qui ont imposé  la Sharia au pays. Mais aujourd'hui une grande majorité des gens voudrait en finir avec cette dictature religieuse. Pourtant, jusqu'à présent la situation est bloquée. La police secrète du régime arrive à maintenir la pression sur la population. La dernière tentative de révolte de 2009 s'est soldée par des centaines de manifestants tués et plus de deux mille emprisonnements ! La propagande anti-américaine se poursuit. Quant aux responsables politiques et à l'oligarchie en place, ils continuent à s'en mettre impunément plein les poches. Par ailleurs, le blocus occidental n'arrange pas vraiment les choses, en isolant le marché iranien de la scène internationale.


En arrivant en Iran, par la religieuse région de Mashhad, la première chose qui m'a choqué est de voir un si grand nombre de femmes voilées en noir de la tête aux pieds. Elles apparaissent comme des ombres dans le paysage et, sur les photos, elles fıgurent comme des silhouettes ayant été découpées aux ciseaux. On a l'impression de pénétrer dans un monde amputé de la moitié de sa population. Après quelques temps dans le pays, je me suis rendu compte qu'en réalité, dans l'ensemble du pays, seule une minorité de femmes porte un voile noir intégral et que c'est un choix personnel lié à leur convictions religieuses. La plupart des femmes se contentent de porter un hijab sensé cacher leur chevelure. Une majorité d'entre elles ne le fait que par l'obligation juridique qu'elles en ont, quand elles sont à l'extérieur ou bien en présence d'autres hommes que leurs époux. De plus en plus, chez les jeunes citadines, par effet de mode ou par militantisme discret, le voile a fortement tendance à se réduire, jusqu'à n'être parfois qu'un petit morceau d'étoffe retenu par un chignon établi bien en arrière de la tête, pour laisser le devant de leurs cheveux apparent. Un jeu qui peut leur coûter cher, car partout la police religieuse veille. Dès les premiers jours j'ai pu en faire le constat moi-même. Alors que j’écrivais un mail dans un cyber-café, un gars s'est assis à coté de moi, m'a pris le clavier des mains et a mis en route un logiciel de traduction pour pouvoir lire ce que j'écrivais ! Devant mon étonnement sur ses manières, il m'a simplement dit : je suis " responsable de l'informatique " !


Voyager avec Susana nous permet, à Pascal et à moi, d'avoir un autre regard sur ce pays partagé entre le monde des hommes et celui des femmes. D'autant qu'avant de nous rejoindre, Susana a passé deux semaines en couch-surfing chez différentes iraniennes. A propos du voile, elle nous dit que la plupart de ses amies le subissent et qu'avant de sortir dehors, elles tournent ça en dérision en disant : " Il ne faut pas oublier de mettre l'uniforme ! " Par ailleurs, comme il n'y a pas de restrictions concernant la chirurgie esthétique, les iraniennes se précipitent toutes pour se faire refaire le nez et se pavanent ensuite dans la rue avec un beau pansement. On en croise chaque jour des dizaines : une catastrophe nationale pour qui aime les nez aquilins ! Enfin, au bout de quelques semaines, on se familiarise avec la tenue vestimentaire des femmes, mais surtout on s’aperçoit  que le port obligatoire du voile n'est que la partie émergée de l'iceberg. Bien que très symbolique, ce n'est pas le problème principal. Ce que souhaitent surtout les Iraniennes aujourd'hui, c'est simplement avoir les mêmes droits juridiques que les hommes et pour l'instant l'écart est colossal.

Etre égaux quoi, comme en Occident, n'est-ce pas Pascal ?
Salon de thé à Kermansha. Ca, pour fumer le narguilé, y a du monde !
Patisserie à Kermansha. Attention : hautement addictif !

En voyageant en Iran, nous sommes comme un bureau de doléance ambulant. Il n'est pas un jour qui passe, sans que quelqu'un vienne nous trouver pour se plaindre du régime. Le frère d'untel a fait trois mois de prison parce qu'il a parlé, seul à seul, assis sur un banc dans un parc, avec sa future fiancée ! Il s'est marié avec elle et ils ont fui en Australie, concrétisant ainsi le rêve de nombreux jeunes iraniens, qui idéalisent ce pays lointain. Un autre a fait de la prison pour avoir pris des photos lors d'une manifestation. La sœur de celui-là parce qu'elle ne portait pas une tenue adéquate, etc, etc... Je ne ferai pas le compte de toutes les histoires qu'on nous a rapporté.

Place Naghsh-e Jahan à Ispahan (XVIIeme siècle)
Mosquée Masjed-e Jameh à Ispahan
 Place Naghsh-e Jahan à Ispahan

Souvent aussi nos interlocuteurs ont peur que nous assimilions l'Islam à l'extrémisme religieux ou même au terrorisme. La barbe de mon ami Pascal a ses admirateurs et ses détracteurs. Avec sa tenue de cycliste, beaucoup de gens adorent et le prennent en photo. Son look à la ZZ-Top semble tourner en dérision celui des religieux barbus. Mais dans les petites villes de province, certaines personnes assimilent sa barbe à un fondamentalisme qu'ils réprouvent. On le traite de Daesh et on lui recommande d'aller chez le barbier. Dans la région kurde de Kermansha, plusieurs fois on lui a dit que la barbe c'était pour les arabes, en faisant signe de la main : qu'on leur coupe la tête ! En effet beaucoup d'Iraniens ont des préjugés contre les " arabes " qu'ils considèrent comme étant la source de tous leurs problèmes politico-religieux.

Mosquée Masjed-e Shah à Ispahan (XVIIeme siecle)
Mosquée Masjed-e Shah à Ispahan
Hammam Ali Gholi Agha à Ispahan

Alors concrètement, dans la vie de tous les jours, les gens font avec le régime en place... en se cachant. En Iran, on peut facilement trouver de tout, même de l'alcool et des stupéfiants, à l’arrière de certaines boutiques, alors que leur consommation est strictement interdite. Quant aux relations adultères, elles sont aussi courantes qu'ailleurs dans le monde. Bien qu'ici, pour cela, on risque la peine de mort par lapidation. Amnesty International a dénombré au moins 6 exécutions pour adultère depuis 2006, mais théoriquement le mode d'exécution par lapidation a été supprimé en 2012 ! Les gens vivent donc dans le secret permanent. Et dans leurs comportements, il y a le montré et le caché, ce qui se passe à l'extérieur, dans la rue, et ce qui arrive à l'intérieur des maisons, le visible et l'invisible. Cette pudeur culturelle, si élégante quand elle s'exprime en architecture, induit malheureusement beaucoup de duplicité et de mensonges dans la vie quotidienne.

Mosquée Masjed-e Jameh à Ispahan

En fait, la société iranienne est très variée, tant du point de vu ethnique (Perses, Turkmènes, Kurdes et autres minorités) que du point de vue du niveau culturel et social. Il n'y a pas de portrait uniforme des Iraniens. Susana, Pascal et moi, trois amis de sexes différents partageant la même chambre d'hôtel, cela a pu prêter à questions de la part de certains. Ainsi quelqu'un est venu me demander comment Susana s'y prenait-elle se changer de vêtements en notre présence. Une autre fois, un hôtelier est entré une dizaine de fois sans frapper dans notre chambre pour des prétextes toujours plus futiles, jusqu'à nous laisser aucun doute qu'il espérait secrètement surprendre quelque chose sur la vie des aliens que nous sommes. Par ailleurs, j'ai été très surpris de rencontrer, dans une théocratie, autant de gens qui se disent non pratiquants, voir non croyants. Nous avons aussi écouté des philosophes qui connaissaient par cœur les poèmes d'Hafez faisant l'éloge du vin et nous avons croisé des athées militants n'hésitant pas à insulter les imams ! Nous avons également fait la connaissance de personnes d'une grande piété, mais une fois, l'un d'entre eux, nous a dit que le seul pays étranger où il soit allé était la Thaïlande, à Pattaya en fait (difficile de faire plus glauque...), et que cela avait été génial pour pouvoir y rencontrer des fılles !? A l'inverse, à Téhéran, j'ai rencontré des couples de jeunes, non mariés, certains artistes, d'autres faisant des sports de montagne, qui ressemblaient complètement à mes amis de France. Et dans certains quartiers bourgeois de la capitale, on a l'impression d’être dans n'importe quelle capitale occidentale. Avant 1979, l'Europe, et la France en particulier, a grandement influencé l'Iran. A cette époque, la langue iranienne a adopté de nombreux mots français, on pourrait même dire qu'elle en est farci ! (désolé, je n'ai pu résister à ce calembour)

Entrée de Persépolis (Veme siècle avant JC), près de Shiraz
Tombeau à Persépolis
Bas-reliefs à Persépolis
Ziggourat mésopotamienne de Choqa Zambil (vers 3000 ans avant JC), près de Shush

D'une manière générale, il y a beaucoup de gens cultivés et très polis, avec quelque chose de très raffiné dans leurs manières de se comporter, ce qui les rend très attachants. Un jour, Susana était en voiture avec l'une de ses couch-surfeuses. Elles se font doubler par une luxueuse berline, d'où est jetée une bouteille en plastique par la fenêtre. L'amie de Susana, rattrapant la voiture au feu suivant, baissa sa vitre et dit simplement à la conductrice : " Madame, vous n'avez qu'une très belle voiture. " et elle remonta sa vitre. Se retournant vers Susana, elle lui traduit et ajouta : " Cette femme a très bien compris ce que je lui ai dit : elle a beau être riche, elle n'a aucune éducation. "

Marchand de tapis à Ispahan

Au dela des problèmes économiques, ce que souhaite aujourd'hui la majorité des Iraniens, c'est de pouvoir être libre de dire et de vivre comme ils le souhaitent. Et, pour les jeunes en particulier, la principale revendication est de pouvoir avoir des relations normales avec le sexe opposé, ne serait-ce que de l'amitié. Heureusement ces dix dernières années les lois religieuses s'appliquent de moins en moins fermement. Les autorités sont obligées de relâcher un peu la pression sur une population prête à se révolter. L'arrivée des nouvelles technologies de communication permet aussi aux gens de se rencontrer autrement et ouvre l'Iran sur ce qui se passe dans le reste du monde. Dès lors, à défaut d'arriver à faire évoluer la situation politique dans leur propre pays, beaucoup de jeunes iraniens rêvent d'exil dans l'un des pays occidentaux qu'ils se figurent comme un Eden inaccessible. Dès que nous restons cinq minutes sur une place ou dans un jardin public, des jeunes anglophones se présentent à nous. En rencontrant des voyageurs, c'est pour eux comme un souffle de liberté et d'espérance, un soutien tacite à leur cause. La phrase qui revient souvent est : " Merci de venir voyager dans notre pays ! " Pour toutes ces raisons, l'Iran est vraiment une destination fascinante, tant pour sa culture que pour ses habitants. Hommes ou femmes, je vous recommande vivement d'y aller avant que le régime ne finisse par tomber.

Bazar de Tabriz un jour de fermeture...

Merci encore à Pascal Lachance pour la plupart des photos de cet article.