Après deux semaines passées à La Paz, Anna, Lena, Tomas et moi nous décidons finalement à partir faire une randonnée de quatre jours : el Choro-Trek. Un peu avant notre départ, Eva et Ian, un couple d'Espagnols, que j'ai rencontré à San Pedro d'Atacama (au Chili), arrivent à la Paz. Ian se joint à nous, laissant Eva, qui n'aime pas trop randonner, se reposer à l'hotel. Eva et Ian vivent en France et sont quadrilingues, Espagnol, Anglais, Français et Italien. Anna aussi parlent courament cinq langues : Italien, Anglais, Japonais, Espagnol et Allemand. Lena et Tomas parlent le Flamant, l'Anglais et l'Espagnol. Face à eux, en bon Français, je me sens un peu à la traine question linguistique ! Mais comme toujours, nous jonglons entre les idiomes. Pour ma part, à passer d'une langue à l'autre, j'ai souvent tendance à me mélanger un peu les pinceaux et ça donne parfois lieu à un nouvel Esperanto très personnel, du style : " On pose la carpa near el rio ? ", mais bon, l'essentiel, c'est qu'on se comprenne !
Le Choro-Trek est une immense descente de 52 kilomètres et de 3560 mètres de dénivelés, entrecoupés de petites montés très raides. Tout dans les mollets et les genoux ! La randonnée commence à 4630 mètres d'altitude, au col de La Cumbre, où passe la Rota de la Muerte, avant de redescendre vers La Paz. La première heure de marche, il faut monter l'Apacheta qui, de ses 4860 mètres, est le point culminant du parcours. De là, on dévale les pentes de la Cordillère Royale, en suivant les vallées des rios Chucura, puis Huarini, jusqu'au village de Chairo, situé à 1300 mètres d'altitude et non loin de Coroico.
De nombreuses sections de la randonnée sont pavées de pierres sempiternelles, car ce sentier est l'ancien Chemin de l'Inca, qui permettait d'aller du lac Titicaca à la selva amazonienne. En fait, les sentiers que l'on nomme, de façon générique, " Chemin de l'Inca " sont des voies, le plus souvent réalisées par des sociétés antérieures aux Incas. On sait aujourd'hui que bon nombre de ces routes ont été construites par la civilisation de Tiwanaku, dont l'apogée se situe en l'an 1000 de notre ère. Quoiqu'il en soit, le Choro-Trek est un chemin immémoriel, qui traverse autant l'Histoire que toutes les strates de paysage montagnard imaginable. En quatre jours de marche, on passe de la haute montagne à la forêt tropicale... Au dessus de 3500 mètres, nous sommes dans la Puna, la haute montagne. De 3500 à 1200 mètres, nous traversons la Quehwa, au climat tempéré. En dessous de 1200 mètres, c'est la Yunka, au climat chaud et humide, avec plein de moustiques !
Durant les premières heures de marche, les températures sont glaciales et l'environnement, totalement minéral, est parsemé de névés. Au fur et à mesure de notre descente, l'air se fait plus doux et les premiers végétaux apparaissent. Au bout de quatre heures, nous arrivons à Chacura. La vie des habitants de ce petit village d'altitude, érigé dans un désert de pierre et uniquement accessible à pied, pousse à l'admiration. Comment ces gens font-ils pour arriver à survivre en pareil lieu ?
Nous continuons notre chemin en traversant un nuage d'altitude et, en fin de journée, nous arrivons au bord du rio Churaca. Nous plantons nos tentes dans un petit hameau qui doit compter une dizaine d'âmes. Les habitants, haut comme trois pousses, habitent de petites cahutes en pierres, tellement basses qu'on ne peut s'y tenir debout. Elles sont posées le long des eaux translucides de la rivière, sur une herbe rase, de couleur vert-pomme. On se croirait presque au pays des Hobbits ! A la nuit tombée, nous faisons un feu de camp qui peine à nous réchauffer.
Le lendemain, le paysage change complètement. La végétation devient luxuriante. Dans la matinée, nous traversons des forêts de bambous qui font progressivement place à de véritables arbres. Amaryllis, bégonias, c'est un festival de fleurs ! Les cascades se succèdent et nous traversons plusieurs ruisseaux sur d'incertains ponts suspendus.
La faune aussi devient plus riche. Je vois un renard, des perroquets et plein de papillons multicolores. Le soir nous établissons notre campement à Bella-Vista, au bord d'une falaise verdoyante. Nous n'avons plus beaucoup de provisions et une Indienne qui vit là nous prépare de quoi reprendre des forces : une bonne omelette-riz-patates.
Le jour suivant, il fait chaud. Nous évoluons maintenant dans une véritable forêt équatoriale. A peine trois heures de marche nous mène au lieu dit " Casa Japones " , qui tient son nom d'un Nipon installé ici depuis une cinquantaine d'années. L'homme a maintenant 78 ans. Anna, qui parle courament sa langue, souhaite lui rendre visite.
Le vieux est litéralement cassé en deux, les membres déformés par l'artryte, mais ses yeux gardent une jeunesse malicieuse. Il habite une maisonnette en pierre, ouverte à tous vents. Il a construit lui-même cet abri, au confort plus que spartiate, en haut d'une butte, dont la vue est exceptionelle. Tout autour, il s'est aménagé un jardin paradisaque, où paissent, en toute quiétude, de petits chevaux en liberté. Cet endroit est certainement un des plus beaux de la vallée.
Ancien grand voyageur, le vieux Japonais voyage maintenant par procuration, en fonction des randonneurs qui s'arrètent chez lui pour lui raconter comment va le monde. Les yeux mouillés, il tripote son impressionante collection de cartes postales, de la Terre entière, acheminées miraculeusement jusqu'ici, en nous racontant ses souvenirs. Anna et moi tombons sous le charme, de l'homme et de l'endroit. Nous ne voulons pas finir la randonnée aujourd'hui. Nous souhaitons rester dormir là. Nous faisons grève. Nos trois autres camarades finissent par céder à notre caprice, mais finalement non sans cacher leur plaisir. Sur fond de fumée et de brume, Anna en fera quelques bulles de joie...
Le dernier jour, deux dernières heures de marche nous conduisent à Chairo, sur les bords du rio Huarini, où s'achève le Choro-Trek. Nous allons déjeuner au touristique bourg de Coroico et reprenons, le soir même, un transport pour La Paz, sur la fameuse Rota de la Muerte, qui doit enlacer en d'infinis lacets les parois verticales de la Cordilière Royale, aux dimensions hors d'échelle humaine. En voiture ou en bus, les sensations sont garanties !
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