Vue de ma chambre : les chaussures accrochées ça signifie calle de la droga.
J'arrive à Bogota le 6 décembre. En une heure et demie de vol, je passe de 35°C à 15°C ! La ville, située à 2600 mètres d'altitude, est fraiche toute l'année. Mais cela m'est plutôt agréable, après deux mois passés dans la chaleur étouffante de la selva.
Je m'installe dans le quartier de La Candelaria. C'est le plus ancien de la capitale, mais également le plus bohême. Centre de l'ancienne ville coloniale, autrefois appelé " Quartier des Princes " ou " Athènes des Andes ", La Candelaria est ensuite tombée en désuétude, pour devenir aujourd'hui un lieu où se mêlent artistes, paumés, routards, drogués, S.D.F., fêtards, voleurs...
Dès le premier soir, je rencontre des Français avec qui faire la fête. Il y a Fred, un danseur qui voudrait monter un spectacle, trois jeunes diplômés d'école de commerce en train de construire un hôtel et Maurice, un sexagénaire, qui vient de bénéficier d'un non-lieu, après un long séjour en prison, pour une sombre affaire de trafic de drogue, dans laquelle il était blanc comme neige. A 3h00 du matin, je regagne péniblement mon hôtel, avec en tête la mise en garde du guide : " Ce quartier n'est pas des plus sûrs la nuit venue, pas mal de pick-pockets, parfois des agressions au couteau et la drogue y circule en abondance ! "... No comment. Le lendemain je retrouve Juliette, une jeune Bretonne rencontrée à la Paz. Elle fait un stage dans l'humanitaire à Bogota. Sa soeur Sarah vit également ici. Elle est photographe et c'est une vraie punk dans l'âme. Ces deux premiers soirs vont donner le ton des trois semaines suivantes et voir voler en éclat l'hygiène de vie monacale que je tiens depuis deux mois.
Trois jours plus tard, quatre camarades voyageurs débarquent. Lena et Tomas, mes amis Flamants que j'ai quitté à Trujillo, arrivent d'Equateur. Et, le même jour, mes amis Espagnols, Eva et Ian, reviennent du nord du pays. Nous nous sommes donnés rendez-vous pour dire au revoir à Eva et Ian, qui passent ici les derniers jours de leur voyage de six mois en Amérique du Sud. Après demain, ils s'envolent pour Madrid. Je les aurai rencontrés à trois reprises : au Chili au début de leur parcours, en Bolivie au milieu et maintenant à la fin. Avec Lena et Tomas, nous reprenons avec plaisir nos tournois enflammés de jeux de cartes et nos débats stériles sur la beauté des langues, Tomas étant un pur anglophile et moi préférant les langues latines. Malheureusement mes copains ne veulent pas s'attarder à Bogota et, après cinq jours, ils repartent en direction de la Vallée de Cocora. Pour ma part, la ville me plaît et je souhaite y rester plus longtemps. Nous nous promettons alors de nous retrouver pour passer le Nouvel An ensemble sur la Côte Caraïbe.
Après leur départ, je vais m'installer dans la maison de Sarah. C'est un ancien squat d'artistes reconverti en auberge officieuse. L'ambiance y est très cool : fresques de Bob et de Janis sur les murs, vue dominant La Candelaria. Juliette et Sarah sont de bonnes fêtardes et je passe quelques nuits un peu folles avec elles et leurs potes colombiens, John et les autres, à errer de bars en salle de salsa ou discothèques, avant d'aterrir, au petit matin, dans des appartements improbables de parfaits inconnus.
Cette cité est profondément envoûtante. Pour apréhender la physionomie de Bogota, il faut aller en haut du Montserrate en téléphérique. Sa population, d'une mixité incroyable, a créé une ville à son image. Construite le long d'une montagne, la capitale étend sa mosaïque urbaine toute en longueur. Sur plus de 30 kilomètres, quartiers riches et pauvres se succèdent sans ordre apparent. Le traffic est saturé et il faut plusieurs heures pour se déplacer du nord au sud. Pourtant la possibilité d'une vue sur le pan verdoyant d'un mont permet parfois d'échapper un instant à la mégapole tentaculaire, rappelant un instant aux humains la nature dont ils sont issus. La juxtaposition de barrios aux identités marquées, le mélange d'architectures disparates et la profusion de graphs colorés donnent à la ville un caractère de grande liberté qui invite rapidement le visiteur à s'aproprier cette jungle urbaine.
A partir du 18 décembre, La Candelaria se vide. C'est le milieu des grandes vacances d'été et beaucoup d'habitants partent sur la côte. Ce quartier n'est pas grand. Il suffit d'y rester quelques semaines pour y prendre ses habitudes et s'y faire de nombreux copains. Par moment, La Candelaria me fait penser à une sorte de réserve assurant la protection d'espèces humaines en voie d'extinction. Ici se cotoye une diversité étonnante de hippies, punks, rastas ou gothiques, qui apparaissent parfois comme les derniers représentants de courants culturels tristement éradiqués depuis longtemps en Europe. Le rock est très présent en Amérique du Sud. Dans chaque pays, il s'est fait une place alternative à côté des musiques locales. Et à Bogota, l'ambiance ressemble à un savant mélange de salsa et de rock'n roll. L'énergie artistique qui se manifeste à chaque coin de rue invite à la création. Je reprends le temps d'écrire et de lire : Le voyage à motocyclette du Che, Le pouvoir du moment présent de Eckhart Tolle, deux livres en phase avec ma vie actuelle.
Je visite aussi l'incroyable Musée de l'Or, sans doute l'un des plus beaux du continent. Il retrace de manière pédagogique l'histoire des très nombreuses communautés indigènes du pays, au travers des objets en or qu'elles ont produits au fil des siècles.
Je passe Noël avec Teresa, les artesanos et les artistes de rue de La Casa de la Montaña. Il y a des Colombiens, une Argentine, un Vénézuélien et un Péruvien. C'est comme si un concentré d'Amérique du Sud m'était offert pour achever en beauté l'année qui je viens de passer ici.
Mais les jours ont filé sans que je m'en aperçoive et je dois reprendre la route si je ne veux pas manquer mon rendez-vous avec Lena et Tomas. Ma soeur m'a envoyé un colis avec mon sac à dos de voyage personnel. C'est bien pratique car depuis que j'ai laissé le vélo à Santiago du Chili, il y a six mois, je voyage avec un sac à dos d'enfant prêté par un ami. Il n'était pas à ma taille et il ne pouvait pas contenir toutes mes affaires. Alors aujourd'hui, je suis heureux comme un Bernard l'Ermite qui vient de changer de coquille !
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