Le 30 janvier, je prends une buseta pour Cartagène. C'est l'un des plus anciens ports coloniaux de la côte. Par le passé, lieu de transit de toutes les richesses du continent, il a été maintes fois attaqué par les pirates des Caraïbes. L'architecture de la ville close évoque à chaque instant cette époque révolue. Mais ces dernières années, les pouvoirs publics ont entièrement rénové le centre historique pour le transformer en sanctuaire touristique et, les nouveaux pirates de la ville, ce serait plutôt les hôteliers et les restaurateurs, qui puisent alègrement dans le porte-monnaie des visiteurs. Tous les prix sont deux fois plus élevés que dans le reste du pays. Ici, encore plus qu'ailleurs en Colombie ou au Pérou, il faut toujours tout négocier. La bouteille d'eau, le pain, le paquet de cigarettes... il n'y a aucun prix fixe. Ils sont faits à la tête du client. Parfois c'est fatigant mais on s'y fait. Avant de voyager, marchander n'était vraiment pas dans ma nature mais, aujourd'hui, je me suis aguérri et je suis devenu intraitable !
Je m'installe hors des murs, à Getsemani, dans l'ancien faubourg déshérité de la ville, qui n'a pas encore subi les assauts de l'asseptisation généralisée. C'est là qu'on peut encore trouver quelques auberges bon marché et une ambiance plus authentique. A peine arrivé, je rencontre deux Françaises, Nadia et Claire, ainsi qu'un couple de Chiliens, Angeles et Pancho. Nous passons une journée à visiter rapidemment la ville puis nous partons à la Playa Blanca, sur la presqu'île de Barú. C'est la première fois de mon voyage que je trouve une vraie plage de carte postale. Au programme : eau turquoise, sable blanc, cocotiers et piñas coladas. L'eau est de la même température que l'air, un vrai délice !
Par hasard, je retrouve là un couple de Français, que j'avais rapidement croisé à Tayrona. Ils voyagent en travaillant dans la rue. Alex joue de la guitare, Sarah de l'accordéon et ils sont tous les deux artesanos. Malgré la précarité que cela implique parfois, ils arrivent à voyager en vivant uniquement de leurs talents et cela pousse à l'admiration.
Après quatre nuits sous la tente et cinq jours de farniente, nous retournons tous à Cartagène. Mais je n'aime pas l'ambiance de cette ville, qui affiche clairement une politique de promotion d'un tourisme de luxe. Une vraie guerre est menée contre toutes les personnes qui ne correspondent pas au profil du " toutou " friqué. La police, omniprésente, mène la vie dure aux artesanos, en les empêchant de travailler. Pour ma part, en seulement deux jours, je suis fouillé trois fois par des agents ! C'en est trop. Je décide de reprendre rapidement la route et je fais mes adieux à mes nouveaux amis.
A 150 kilomètres plus à l'Ouest sur la côte, je m'arrête à Tolú, une petite station balnéaire, à l'atmosphère purement colombienne, sans aucun gringo. Ça fait du bien ! De là, on peut s'embarquer pour l'archipel San Bernardo. Je vais donc passer cinq jours à Mucura, un îlot coralien qui émerge à peine de la mer des Caraïbes et dont on fait le tour en une demi-heure. L'endroit est encore plus beau que Barú et les fonds marins offrent de somptueuses forêts coraliennes, qu'on peut explorer, des heures durant, au masque-tuba.
La population métissée de l'île est principalement issue d'anciens esclaves fugitifs, appelés cimarrones, et, sans doute, de quelques pirates anglais ou français. Certains habitants sont noirs aux yeux bleus ! La plupart vivent sur le minuscule îlot-village de l'archipel, El Ilote, dont la densité de constructions est impressionnante. Toutes les maisons sont collées les unes aux autres. Il ne reste plus un seul mètre carré inexploité. Les autres îles constituent le " campo " du village. Elles sont très peu habitées. A Mucura, à part un hotel luxueux, il n'y a qu'une trentaine de cabanes de pêcheurs. Le reste de l'île est couvert d'une grande cocoteraie, bordant une lagune d'eau saumâtre. Malgré les deux heures durant lesquelles, chaque jour, quelques touristes débarquent sur l'une des plages, le temps de s'y restaurer, je profite pleinement de la tranquillité des lieux. Je pose ma tente chez Josefa et Manuel, en échange de leur acheter ma nourriture quotidienne.
Après cinq jours passés à Mucura, je retourne sur le continent. A peine ai-je posé le pied à terre, sur qui je tombe ? Alex et Sarah ! Eux aussi sont à la recherche d'une plage tranquille. Je décide alors de retourner avec eux sur l'île paradisiaque, car le snorckeling m'a laissé un goût de trop peu. Alex et Sarah sont maintenant acompagnés de Pulga, un chaton de quelques semaines, qu'ils ont recueilli à Cartagène et qu'ils doivent encore nourrir au biberon.
Ce second voyage me permet de mieux apréhender la réalité humaine de Mucura. Les ressources de l'île étant limitées, ici, c'est donnant-donnant. Enfin, surtout donnant, car le visiteur est en permanence solicité : " Hazme un regalo, Regalame eso... " John-Angelo, le représentant auto-proclamé du tourisme sur l'île m'explique : " Ici, les étrangers sont acceptés, à condition qu'ils apportent, d'une manière ou d'une autre, quelques pesos à la communauté. " Mais Alex et Sarah ont un budget très serré et cela leur vaut un accueil plus que mitigé de la part des habitants. Maintenant je me rends compte que le petit paradis de Mucura est aussi un vrai panier de crabes, où chacun essaie de tirer la couverture de son côté.
Après quatre jours, nous retournons à Tolú. J'y retrouve Carnenza, Heblin et Pablo, trois autres artesanos colombiens, qui habitent le bourg. Cela nous fait du bien de retrouver des gens chaleureux, généreux et désintéressés. Heblin nous accueille chez lui et nous raconte l'histoire de Tolú. En fait, la petite ville tranquille est un ancien fief de Pablo Escobar. Elle a été une plaque tournante du transit de la cocaïne entre la Colombie et le Panama. Dans un garage, nous voyons un catamaran rutilant, qui aurait appartenu au chef mafieux. " Mais maintenant, c'est tranquille ", nous assure Heblin. Il y a six ans, les paramilitaires ont nettoyé la ville : 140 assassinats en moins d'un an ! Enfin, tranquille, tranquille, c'est vite dit. Il y a quand même eu un meurtre la nuit suivante. " Une balle dans la bouche, cela signifie que le type a vu quelque chose et qu'il a parlé ", nous dit Heblin. Mème si, depuis quelques années, la Colombie s'est métamorphosée, aujourd'hui encore, il vaut mieux ne pas être au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais pour les voyageurs, le plus dangereux sur la côte Caraïbe, c'est de se prendre une noix de coco sur la tête !
Je m'apprète à quitter la Colombie car j'ai déjà épuisé mes trois mois de visa. Le pays est tellement vaste que je n'en aurai vu qu'une petite partie : seulement la selva, Bogota et la côte Caraïbe. Mais il y a aussi la côte Pacifique, trois cordillères différentes et les pampas des Llanos. Chacune de ces régions sont comme autant de pays différents, tant par la géographie que par les habitants. En un mot, je dirai que la Colombie est le pays de la diversité, une mosaïque de peuples qui a chacun sa propre identité. Descendants d'Indiens, d'Européens, d'Africains, le Colombien n'existe pas. Il ressemble à une sauce, aux ingrédients savoureux, avant émulsion.
Je vais bientôt passer au Panama et, par là même, quitter l'Amérique du Sud pour entrer en Amérique Centrale. Quinze mois sur ce continent gigantesque est un simple survol, une brève vue d'ensemble, tant ce monde, toujours nouveau, n'a pas encore épuisé ses richesses. Une chose est sûre : j'en suis tombé amoureux. Tous les pays m'ont plu, sans exception, pour chacun sa raison. Et il me tarde déjà d'y revenir ! Sur ce continent, j'ai appris à voyager. On ne peut pas tout voir, la terre est trop vaste. Le seul enjeu est d'arriver à toujours être bien, ici et maintenant, comme un chaton dans son hammac. J'ai compris que le chemin était plus important que la destination, qui n'est finalement qu'un prétexte. J'ai vu que plus riche on était, moins riche était son chemin.
Deux personnes peuvent faire deux voyages aux parcours identiques et vivre des expériences totalement différentes. Il y a celui qui ne va fréquenter que les auberges style " bobo-cool ", au confort et à la décoration internationnalement stéréotypés, où tout le monde ne parle qu'english, voyage avec son iPhone et son Lap-Top. Dans le meilleurs cas, il rencontrera d'autres backpackers. Dans le pire, il se retrouvera dans de grands dormitorios, où personne ne se parle, chacun étant les yeux rivés sur son Facebook, en permanence connecté par wifi. Il y a celui qui va partir à pied, à vélo, à cheval... Son voyage alternatif va lui ouvrir les portes des gens des pays qu'il traverse. Il y a celui qui va voyager en travaillant, dans un hotel, dans l'humanitaire, en faisant les récoltes, en donnant des cours de langues ou encore en faisant du woofing dans une ferme écolo. Comme pour couchsurfing, c'est un moyen de s'immerger dans la vie locale. Il y a l'artesano, qui va vivre en contact direct avec les gens de la rue. Et il y a les vacanciers de quelques semaines, qui ont des plannings aussi chargés que chez eux, parfois des idées bien arrêtées et qui souvent ne me font pas regretter d'avoir quitté la France ! Touriste ou voyageur, chacun choisit sa tribu nomade.
" T'as vu, l'étoile de mer ?! "
" Mais c'est qui ce p'tit chat ?! "
Depuis que je suis parti, j'ai appris à aimer passionnément voyager, à développer mes facultés d'adaptation en repoussant les limites de la tolérance et surtout à vivre dans le présent chaque moment de partage, à contempler la beauté de notre Terre et à progresser en humanité.
Les premières personnes que j'ai rencontré sur ce continent étaient les artesanos de Olinda, les dernières ceux de Tolú. Une belle façon d'aboutir le cycle. Je ferme la boucle en apprenant à en faire de nouvelles, en alambre cette fois, avec Alex pour professeur. Mes premières réalisations, quelques pendentifs minimalistes en coquillages, qui résument mon voyage en Amérique du Sud : nature, création et partage !
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