Avant mon départ, je suis un peu effrayé à l'idée du chemin qui m'attend. Depuis la plaine de Mendoza, je vois se dresser devant moi la Cordillère des Andes qui m'apparaît comme une barrière absolument infranchissable à vélo. Je suis à 700 mètres d'altitude et le col est à 3200 mètres ! J'ai beau me dire que cette route est un classique pour les cyclistes du monde entier, pour la première fois depuis que je suis parti, je crains de ne pas y arriver. Mais bon, qui ne tente rien n'a rien ! A chaque instant suffit sa peine ! Alors je verrai bien... Le moment venu, il sera toujours temps de trouver une solution de rechange en cas de renoncement. Le matin du mardi 17 mai, je tarde à partir, espérant peut-être une excuse climatique pour reporter mes efforts au lendemain. Mais le soleil brille dans un ciel désespèrement bleu, alors à 11h00, je me décide enfin à enfourcher mon vélo.
Après la première journée, je suis un peu plus confiant. La route se faufile de manière inattendue, entre les impressionantes parois rocheuses, avec une pente plutôt raisonnable. A chaque instant, mon horizon est borné par d'hermétiques murailles, mais, en bout de vallée, au dernier moment, la rota 7, tel un serpent, arrive à se lover dans autre val improbable. En milieu d'après midi, après 80 kilomètres de vélo, j'arrive à Potrerillos. C'est un petit village en cours de construction, au bord d'un récent lac artificiel. Je ne suis pas trop fatigué, je pourrais continuer à avancer, mais je me dis qu'il est préférable de me ménager, vue l'énergie qu'il me reste à fournir. Je me mets donc à la recherche d'un endroit, près du lac, où bivouaquer. Cette nuit là, j'ai froid et je ne dors pas très bien. Je dois être à 1500 mètres d'altitude et dès que le soleil disparaît, la température devient glaciale.
Le lendemain, je me lève avec l'onglée. Heureusement, le soleil ne tarde pas à venir me réchauffer. Comme souvent en montagne, plus je monte, plus le paysage s'embellit et enivre mon effort. Je traverse de magnifiques défilés de montagnes, qui ont servi de décor au film " Little Boudha " ! Au fil des heures, sur les pans rocheux, se déclinent toutes les nuances possibles d'ocres et de roses. Il y a beaucoup moins de camions qu'entre Buenos-Aires et Mendoza. La chaussée est agréable. Et j'avale sans difficultés les 50 kilomètres qui me séparent d'Upsallata, dernier bourg avant Las Cuevas, situé au sommet du col, marquant la frontière avec le Chili. Je m'arrête là pour trouver une auberge et éviter d'avoir à dormir, à nouveau, sous la tente. Je suis hors de la saison touristique et j'ai un dortoir pour moi tout seul.
Le jour suivant, mon cheminement devient soudain beaucoup plus difficile. Après Upsallata, la route bifurque pour s'attaquer résolument au franchissement la Cordillère et, progressivement, sa pente se raidit. Mais le plus pénible, c'est le vent. Il souffle, de face, avec de plus en plus de vigueur car, plus je m'enfonce dans les Andes, plus je subis l'effet venturi de la vallée. En pédalant comme un fou, je dépasse à peine 5 km/h, la vitesse de la marche, quand je ne suis pas tout simplement désarçonné de ma monture ! Dans certaines montées, je me vois même contraint de pousser mon vélo pour atteindre le sommet. Cette fois, j'ai atteint la haute montagne et le froid aussi se fait plus vif. Après 65 kilomètres de calvaire, les yeux rougis par le vent et la poussière, j'arrive enfin à Los-Penitentes, la bien nommée ! C'est une minuscule station de ski avec seulement deux remontées mécaniques. Ici, à cette saison, seul un refuge, appelé Campo-Base, tenu par deux guides de haute montagne, fait office d'auberge. Les guides m'accueillent chaleureusement et nous dinons ensemble. Ils s'appellent Dario et Javier. Ils sont en train de rénover le chalet en attendant impatiement la neige. L'été, ils conduisent des expéditions en haute montagne, parfois jusqu'au sommet de l'Aconcagua, et, l'hiver, ils sont moniteurs de ski. Mais d'année en année, la neige se fait plus rare, ici aussi. Javier, voyant mes yeux conjectivés, me dit que le vent souffle toute l'année ainsi, tous les jours entre 10h00 et 18h00 et toujours dans le sens Chili-Argentine. Au moins, me voilà fixé, je sais ce qui m'attends demain !
Après Los-Penitentes, il ne me reste que 20 kilomètres à faire pour atteindre le sommet mais ce sont évidemment les plus difficiles. La pente est encore plus raide et le vent plus fort que la veille ! Je commence à avoir des gerçures aux mains malgré mes gants et mes lèvres sont déchirées. Cela dit, je pense avoir de la chance car il fait encore beau, même si le soleil pénètre peu dans ses hautes vallées étroites. Il n'y a pas encore de neige et c'est sans doute les derniers jours d'automne où le temps permet de pratiquer cette route à vélo.
Heureusement, il y a différentes haltes pitoresques sur le chemin, ce qui m'offre de petites pauses. Un peu avant d'atteindre le pied de l'Aconcagua, je passe devant un émouvant petit cimetière où sont enterrés les montagnards qui ne sont pas venus à bout du géant andin. C'est impressionant de voir que les tombes les plus récentes ponctuent chacune de ces dernières années. Je suis admiratif de ces gens qui sont morts en vivant leurs rêves. N'est-ce pas préférable à une vie morose ? Je passe ensuite à Puente-Incas, où il y a une arche naturelle formée d'étonnantes concrétions jaunâtres et sous laquelle coule une jolie petite rivière, c'est tout à fait charmant.
Enfin, au loin, je le vois, il est là : l'Aconcagua, avec ses neiges éternelles ! C'est le plus haut sommet d'Amérique, il culmine à 6959 mètres ! Je fais le petit tour du sentier balisé qui permet de s'approcher suffisament pour faire sa petite photo souvenir. J'espère que vous apprécierez le geste car j'ai dû m'aquitter du droit d'accès au parc de naturel, d'un montant de 2 euros !
Après être passé au pied de l'Aconcagua, il reste la dernière montée au col, de 8 kilomètres seulement, mais qui est la plus éprouvante. Cependant je me sens pousser des ailes, je n'ai plus aucune douleur et cette dernière ascension est un vrai bonheur. Ça y est, je suis arrivé à atteindre, à vélo, ce mythique sommet des Andes ! C'est dingue ! C'est beau ! Je suis heureux. Pour fêter ça, à Las-Cuevas, le village situé au col, je m'offre un bon bife de chorizo avec mes derniers pesos argentins. Dans le petit restaurant d'altitude, je rencontre mes derniers admirateurs Argentins, comme une délégation venue me dire un dernier au-revoir de la part de ma seconde patrie.
Porté par mon succès, je quitte le route principale et me lance à l'attaque de la piste qui mène au Cristo-Redemptor. Mais, je n'ai pas fait 300 mètres, qu'à l'instant exact où je passe sous le bâtiment en forme d'arche, que Peron a fait construire en l'honneur de son épouse Eva, c'est le drame ! Crack ! Ma roue se bloque... Le dérailleur s'est littéralement cassé en deux ! Je ne peux plus faire un seul tour de pédales. Alors que faire ? Je n'ai plus un sou en poche, le jour décline, au col, il fait froid et il n'y a aucun pick-up à l'horizon, susceptible de me prendre en stop... Après tout, j'ai de la chance que cela m'arrive maintenant, alors que je suis au point le plus haut de la route. Je scotche, comme je peux, mon dérailleur pour ne pas qu'il se prenne dans mes rayons et je repars, en roue libre, jusqu'au tunnel menant à la frontière chilienne. Là, je suis pris en charge dans une fourgonnette qui me conduit jusqu'à la frontière, le tunnel étant interdit aux piétons et aux cyclistes.
Une fois au Chili, je me laisse glisser sur les pentes abruptes des Andes, en roue libre pendant 30 kilomètres. A la nuit tombée, j'arrive épuisé à Rio Blanco et je m'effondre dans une cabana. Le lendemain, je pars de la même façon, mais les pentes sont moins prononcées et je galère un peu. Je finis, tant bien que mal, par arriver à Los-Andes, où je prends un bus pour terminer la route jusqu'à Santiago.
Après être passé au pied de l'Aconcagua, il reste la dernière montée au col, de 8 kilomètres seulement, mais qui est la plus éprouvante. Cependant je me sens pousser des ailes, je n'ai plus aucune douleur et cette dernière ascension est un vrai bonheur. Ça y est, je suis arrivé à atteindre, à vélo, ce mythique sommet des Andes ! C'est dingue ! C'est beau ! Je suis heureux. Pour fêter ça, à Las-Cuevas, le village situé au col, je m'offre un bon bife de chorizo avec mes derniers pesos argentins. Dans le petit restaurant d'altitude, je rencontre mes derniers admirateurs Argentins, comme une délégation venue me dire un dernier au-revoir de la part de ma seconde patrie.
Porté par mon succès, je quitte le route principale et me lance à l'attaque de la piste qui mène au Cristo-Redemptor. Mais, je n'ai pas fait 300 mètres, qu'à l'instant exact où je passe sous le bâtiment en forme d'arche, que Peron a fait construire en l'honneur de son épouse Eva, c'est le drame ! Crack ! Ma roue se bloque... Le dérailleur s'est littéralement cassé en deux ! Je ne peux plus faire un seul tour de pédales. Alors que faire ? Je n'ai plus un sou en poche, le jour décline, au col, il fait froid et il n'y a aucun pick-up à l'horizon, susceptible de me prendre en stop... Après tout, j'ai de la chance que cela m'arrive maintenant, alors que je suis au point le plus haut de la route. Je scotche, comme je peux, mon dérailleur pour ne pas qu'il se prenne dans mes rayons et je repars, en roue libre, jusqu'au tunnel menant à la frontière chilienne. Là, je suis pris en charge dans une fourgonnette qui me conduit jusqu'à la frontière, le tunnel étant interdit aux piétons et aux cyclistes.
Une fois au Chili, je me laisse glisser sur les pentes abruptes des Andes, en roue libre pendant 30 kilomètres. A la nuit tombée, j'arrive épuisé à Rio Blanco et je m'effondre dans une cabana. Le lendemain, je pars de la même façon, mais les pentes sont moins prononcées et je galère un peu. Je finis, tant bien que mal, par arriver à Los-Andes, où je prends un bus pour terminer la route jusqu'à Santiago.
En franchissant cette barrière physique que constitue la Cordillère des Andes, je m'interroge sur les barrières de toutes sortes que se mettent les gens. Quand je raconte mon périple, cela fait rêver beaucoup de monde. J'entends souvent : " Tu as de la chance, j'aimerais tant, mais je ne peux pas... " Et pourquoi pas ? Chacun a ses mauvaises raisons. Le travail... Moi aussi, j'avais un travail, qui me permettait de vivre et qui, en plus, me plaisait ! Les responsabilités familiales... Depuis que je suis parti, j'ai vu plusieures familles ( une fois avec 4 enfants ! ), qui voyagent, en camion, en bus, et même à vélo ! Les moyens financiers... J'ai rencontré des personnes qui voyagent avec 1 euro par jour ! Ils font du stop et demandent l'hospitalité aux habitants des endroits qu'ils traversent. Oui, mais il faut avoir la forme physique... Moi, je fume, je bois de l'alcool et j'aime faire la fête. C'est politiquement incorrect de le dire quand on voyage à bicyclette et pourtant je trouve mon équilibre ainsi ! En fait, les barrières sont d'un autre ordre. Elles sont avant tout psychiques. En traversant les Andes à vélo, plus que la barrière physique de la montagne, j'ai vaincu la barrière mentale de la peur d'échouer dans cette épreuve. Les sociétés actuelles n'aident pas les gens à se libérer de leurs barrières intérieures. Au contraire elles maintiennent les populations sous le joug de la peur, en propageant dans les médias des messages anxiogènes. Tout est fait pour éviter que l'individu ait à penser par lui-même. On est pas aidé car il est certain que penser par soi-même demande un effort. Pourtant c'est le seul chemin possible vers le bonheur personnel d'exister et le seul qui puisse permettre à notre espèce d'évoluer. Quand on ne se donne pas la peine de réfléchir pour trouver ses solutions individuelles, adaptées aux problèmes qu'on rencontre, on s'emprisonne dans des modèles préétablis qui nous empêchent d'exercer la pleine mesure de nos capacités. Alors commencez par jeter vos téléviseurs et ce sera certainement déjà le début d'un mieux-être !
Tu fais ton modeste ! Ou alors tu n'as pas le recul nécessaire : ce que tu fais c'est enorme !
RépondreSupprimerBonne route,
Stanko
ps : toujours se méfier de Venturi