Ma route va longer le litoral de quatre états du Nordeste: Pernambuco, Alagoas, Sergipe et Bahia, une région où on peut encore trouver des coins sauvages. Après Gaibu, la reprise du vélo est difficile et je subis ma première crevaison. Mais comme partout, je reçois beaucoup d'encouragements sur mon chemin, qui me donnent de l'énergie. Les deux premiers jours, ma route traverse les nombreux champs de canne à sucre du Pernambuco et l'air sent la cachaça à plein nez.
Il y a beaucoup de camions qui roulent comme des fous. A chaque fois que j'en croise un, je suis obligé de me jeter sur le bas-côté, non bitumé et plein de nids de poule. C'est un peu casse-gueule car le goudron forme un dénivelé d'une dizaine de centimètres qu'il faut franchir. Cette conduite demande une concentration de tous les instants, un oeil rivé dans le rétroviseur. C'est crevant. Et j'ai toujours encore un peu mal au dos. A un moment, où ma vigilance baisse, je manque même de me faire embrocher par un bus. Un matin, je constate que j'ai deux rayons cassés de ma roue arrière. Il n'y a pas de réparateurs dans ce coin paumé et je continue ma route jusqu'à Japaratinga, un des premiers villages de l'Alagoas. J'arrive enfin dans un endroit charmant. Je trouve une pousada très bon marché et je fais réparer mon vélo. Le garagiste travaille comme un forgeron, on est loin de la précision des spécialistes parisiens, mais mon vélo repart en parfait état, du moins semble-t-il.
Après Japaratinga, je quitte la grande route bitumée et continue à suivre la côte sur une piste, parfois goudronnée, parfois pavée, le plus souvent sablonneuse ou en tôle ondulée. Il m'arrive même de me retrouver sur de véritables sentiers praticables uniquement à vélo ou à cheval. C'est parfois difficile de rouler sur ces surfaces et je vais moins vite. Mais il y a très peu de circulation et le paysage devient absolument magnifique. L'Alagoas et le Sergipe, hormis leur capitales, Maceio et Aracaju, en plein préparatifs de Noël, sont deux états où il existe encore des centaines de kilomètres de plages désertes, que viennent par moment distraire des villages de pêcheurs. C'est l'idéal pour faire du camping sauvage et je me régale à vivre comme un Robinson.
Un soir je rencontre trois jeunes qui écoutent du reggae dans une case et m'invitent à partager leur diner. Il sont venus passer là le week-end. Je me dis que c'est encore des fumeurs de pétards mais les apparences sont souvent trompeuses, il s'agit de trois évangélistes ! Ayant grandi dans les favelas de Maceio, ils se sont convertis pour échapper à leur addiction à la drogue. On ne me dira pas que la religion n'est pas l'opium du peuple ! Mais pourquoi pas, si cela leur convient ? Depuis leur conversion, ils ne se droguent plus, ne boivent plus, ne font plus l'amour et écoutent un reggae édulcoré, spécialement conçu par leur église, pour cette part de marché. Quand ils commencent à vouloir me convertir à leur religion, ça devient fatigant.
De retour dans la nature, mon chemin croise plusieurs rios, plus ou moins grands. Quand il n'y a pas de pont pour les franchir, il me faut trouver un pêcheur, pour traverser le cour d'eau sur sa barque à moteur. Avec le vélo, ça transforme un peu mon voyage en expédition. Pendant dix jours, j'enchaine des paysages plus beaux les uns que les autres et d'une grande variété : champs de canne à sucre, cocoteraies, rios, zones marécageuses, dunes de sable blanc, plages désertes... et je fais chaque jour plein de rencontres.
La contrepartie de ce paysage préservé est que la majorité du territoire du Nordeste appartient à de grands propriétaires fonciers qui délimitent méticuleusement leurs biens à grand renfort de barbelés. Les routes sont souvent prisonnières de ces clôtures et il n'est pas toujours aisé de trouver des accès aux plages. Dans le Sergipe, autour de la Réserva Biologica de Santa Isabel, les deux plus grandes entreprises pétrolières du pays ont la main mise sur une grande partie du territoire. En échange de leur présence, les entreprises ont réalisé des routes à leurs noms. Est-ce pour les habitants ou pour leurs camions, on ne sait pas très bien. Face à la réserve, au loin sur l'océan, on voit plusieurs plateformes pétrolières. Je pense que le secteur privé n'est pas à même de gérer convenablement les biens publics et je suis inquiet pour l'avenir.
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