Pascal et moi reprenons la route en direction de la réserve de Ibéra. Cette dernière se trouve dans les Corrientes, au sud-ouest de Posadas, entre les rios Parana et Uruguay. C'est la plus grande zone humide, d'eau douce, protégée, du continent américain et sa faune est particulièrement fournie et variée. 628 espèces d'animaux ont été répertoriées dont la moitié de tous les oiseaux du pays. Elle est perdue au beau milieu d'une immense savane quasiment inhabitée et relativement aride à cette saison de l'année. Seule une piste en terre battue, longue de 120 kilomètres permet d'accéder au seul petit village situé en son coeur : Carlos-Pellegrini, fondé sur les bords du lac Ibéra. Afin de pouvoir faire la route à vélo en une journée, nous partons dans la nuit, à 4h30 du matin, ce qui nous donne le grand plaisir de voir lentement le jour paraître et le soleil se lever sur une plaine immensément plate. A 10h00, il fait déjà une chaleur torride et nous sommes obligés de faire des pauses fréquentes. Nous profitons des rares arbres que nous trouvons pour nous baigner un moment sous la fraicheur de leurs feullages. Seuls quelques gauchos isolés vivent sur ces terres inhospitalières. Bien qu'ils aient un accent absolument incompréhensible, ils sont très aimables. Quand ils nous voient, ils viennent généralement nous demander si nous n'avons besoin de rien.
A l'approche de la réserve, la savane se flanque de petits canaux qu'on sent habité. Ça grouille. Nos regards sont à l'affut dans l'espoir de voir un caïman mais rien ne bouge. En fin de journée, nous sommes morts de fatigue. Pascal va à deux à l'heure et s'endort à moitié sur son guidon. D'un coup, il s'arrete, s'allonge et dit : " Là, il faut que je dorme." Et, dans la seconde, il s'endort effectivement d'un profond sommeil, au bord d'une étendue d'eau croupissante, où barbotent des bêtes étranges... Ce sont des cabiais, une sorte de cochons d'Inde aquatiques géants, endémiques de cette région. Bientôt, je me sens aussi gagné par le sommeil alors je motive mon compagnon comme je peux : " Pascal ! Lève toi ! Il va faire nuit ! Et ici, c'est blindé de serpents et de crocodiles ! Moi, je dors pas là, je te laisse tout seul !" Pascal a une phobie des serpents alors ça marche un peu, il se lève mollement en maugréant et nous finissons par arriver enfin à Carlos-Pellegrini à 19h30, après une journée de 15 heures de vélo et 127 kilomètres de piste.
Nos efforts sont récompensés. Arrivés au village, nous trouvons le plus beau camping qui soit et pour une somme modique. Il est situé sur une presqu'île du lac Ibera. L'endroit est paradisiaque : une magnifique pelouse verte avec de beaux arbres dont le feuillage tombe sur les nénuphars d'une lagune bordée de roseaux. Ça et là, des paillottes abritent chacune une table et un immense barbecue pour faire la parilla. Nous sommes en pleine nature et il n'y a quasiment personne sur place. Vu la difficulté d'accès du site, seules les gens passionnés d'animaux sauvages viennent ici. Mais cette tranquilité est relative car les bêtes sauvages, elles, sont bien présentes. A quelques mètres de nos tentes, les eaux sont pleine de vie... piranhas, batraciens, oiseaux, serpents, caïmans... mais le responsable du camping nous assure que nous ne risquons rien. Nous n'avons d'autre choix que de le croire sur parole et de nous persuader que le gentil croco qu'on voit là, à trois mètres de notre tente, ne viendra pas nous chatouiller les doigts de pied durant la nuit !
Nous passons trois jours sur place à visiter la réserve, un jour en barque, le lendemain à cheval, le suivant à pied. Les animaux étant protégés, ils ne sont pas farouches et nous pouvons les approcher de très très près. Nous voyons des tapirs, des cervidés, des singes et une multitude d'oiseaux rares. La biodiversité d'Ibéra est incroyable. Un jour, sous nos yeux, une couleuvre se jette sur une grenouille et nous la regardons pendant un quart d'heure en train d'avaler lentement sa proie, plus grosse que sa propre tête. Une autre fois, devant les eaux paisibles du lac, Pascal me dit : " Jettes un peu de gateau dans l'eau et tu vas voir ! ". Je m'éxécute et les eaux deviennent soudain bouillantes. Des palomettas, cousines du piranha, par centaines, se disputent les miettes. Pascal en capture une, manquant de se faire mordre. Il la met devant le nez d'un petit caïman qui n'en fait qu'une bouchée. Ce petit paradis, si calme en apparence, cache décidément une incessante et sans merci lutte pour la vie. Et ce peut être dangereux. Nous rencontrons une dame qui a voulu se prendre un bain de pied et qui s'est fait croquer un bout de mollet ! Le soir, pour tenir notre place de rois des prédateurs terrestres, nous allons nous acheter de la viande au kilo dans la carniceria locale et nous régalons d'énormes parillas. Nous restons près du feu pour échapper aux moustiques. La tête dans les étoiles, nous écoutons longuement tous les bruits de la nuit. Je commence à véritablement tomber amoureux de l'Argentine, tellement ce pays est encore sauvage et beau.
Le quatrième jour, à l'aube, nous devons malheureusement reprendre la route. Pour ne pas manquer le rendez-vous fixé avec Jérôme, nous sommes obligés de prendre un bus à Mercédes pour effectuer les 850 kilomètres qui nous séparent encore de Buenos-Aires. Mais, en chemin, nous avons un dernier impératif, passer chez le coiffeur ! Quoi, vous avez jamais vu deux chauves aller chez le coiffeur ? Et oui, nous aussi, on a besoin d'aller se faire couper les tifs et, même, encore plus souvent que les autres, figurez-vous !
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