Description

Mais aussi avec bien d'autres moyens de transport parfois des plus surprenants... Le 1er juillet 2010, je pars de Bretagne à vélo. Arrivé au Maroc, je traverse l'océan Atlantique en voilier-stop. Je passe ensuite un an et demi en Amérique du sud. Puis d'avril 2012 à septembre 2013, je traverse l'océan Pacifique en voilier. Enfin, en mars 2014, je reprends le vélo pour rentrer en France depuis Bangkok, en suivant la route de la soie à travers la Chine et l'Asie Centrale...

mardi 27 décembre 2011

Bogota, Salsa et Rock'n Roll


Vue de ma chambre : les chaussures accrochées ça signifie calle de la droga.


J'arrive à Bogota le 6 décembre. En une heure et demie de vol, je passe de 35°C  à 15°C ! La ville, située à 2600 mètres d'altitude, est fraiche toute l'année. Mais cela m'est plutôt agréable, après deux mois passés dans la chaleur étouffante de la selva.




Je m'installe dans le quartier de La Candelaria. C'est le plus ancien de la capitale, mais également le plus bohême. Centre de l'ancienne ville coloniale, autrefois appelé " Quartier des Princes " ou " Athènes des Andes ", La Candelaria est ensuite tombée en désuétude, pour devenir aujourd'hui un lieu où se mêlent artistes, paumés, routards, drogués, S.D.F., fêtards, voleurs...




Dès le premier soir, je rencontre des Français avec qui faire la fête. Il y a Fred, un danseur qui voudrait monter un spectacle, trois jeunes diplômés d'école de commerce en train de construire un hôtel et Maurice, un sexagénaire, qui vient de bénéficier d'un non-lieu, après un long séjour en prison, pour une sombre affaire de trafic de drogue, dans laquelle il était blanc comme neige. A 3h00 du matin, je regagne péniblement mon hôtel, avec en tête la mise en garde du guide : " Ce quartier n'est pas des plus sûrs la nuit venue, pas mal de pick-pockets, parfois des agressions au couteau et la drogue y circule en abondance ! "... No comment. Le lendemain je retrouve Juliette, une jeune Bretonne rencontrée à la Paz. Elle fait un stage dans l'humanitaire à Bogota. Sa soeur Sarah vit également ici. Elle est photographe et c'est une vraie punk dans l'âme. Ces deux premiers soirs vont donner le ton des trois semaines suivantes et voir voler en éclat l'hygiène de vie monacale que je tiens depuis deux mois.




Trois jours plus tard, quatre camarades voyageurs débarquent. Lena et Tomas, mes amis Flamants que j'ai quitté à Trujillo, arrivent d'Equateur. Et, le même jour, mes amis Espagnols, Eva et Ian, reviennent du nord du pays. Nous nous sommes donnés rendez-vous pour dire au revoir à Eva et Ian, qui passent ici les derniers jours de leur voyage de six mois en Amérique du Sud. Après demain, ils s'envolent pour Madrid. Je les aurai rencontrés à trois reprises : au Chili au début de leur parcours, en Bolivie au milieu et maintenant à la fin. Avec Lena et Tomas, nous reprenons avec plaisir nos tournois enflammés de jeux de cartes et nos débats stériles sur la beauté des langues, Tomas étant un pur anglophile et moi préférant les langues latines. Malheureusement mes copains ne veulent pas s'attarder à Bogota et, après cinq jours, ils repartent en direction de la Vallée de Cocora. Pour ma part, la ville me plaît et je souhaite y rester plus longtemps. Nous nous promettons alors de nous retrouver pour passer le Nouvel An ensemble sur la Côte Caraïbe.




Après leur départ, je vais m'installer dans la maison de Sarah. C'est un ancien squat d'artistes reconverti en auberge officieuse. L'ambiance y est très cool : fresques de Bob et de Janis sur les murs, vue dominant La Candelaria. Juliette et Sarah sont de bonnes fêtardes et je passe quelques nuits un peu folles avec elles et leurs potes colombiens, John et les autres, à errer de bars en salle de salsa ou discothèques, avant d'aterrir, au petit matin, dans des appartements improbables de parfaits inconnus.



Cette cité est profondément envoûtante. Pour apréhender la physionomie de Bogota, il faut aller en haut du Montserrate en téléphérique.  Sa population, d'une mixité incroyable, a créé une ville à son image. Construite le long d'une montagne, la capitale étend sa mosaïque urbaine toute en longueur. Sur plus de 30 kilomètres, quartiers riches et pauvres se succèdent sans ordre apparent. Le traffic est saturé et il faut plusieurs heures pour se déplacer du nord au sud. Pourtant la possibilité d'une vue sur le pan verdoyant d'un mont permet parfois d'échapper un instant à la mégapole tentaculaire, rappelant un instant aux humains la nature dont ils sont issus. La juxtaposition de barrios aux identités marquées, le mélange d'architectures disparates et la profusion de graphs colorés donnent à la ville un caractère de grande liberté qui invite rapidement le visiteur à s'aproprier cette jungle urbaine.




A partir du 18 décembre, La Candelaria se vide. C'est le milieu des grandes vacances d'été et beaucoup d'habitants partent sur la côte. Ce quartier n'est pas grand. Il suffit d'y rester quelques semaines pour y prendre ses habitudes et s'y faire de nombreux copains. Par moment, La Candelaria me fait penser à une sorte de réserve assurant la protection d'espèces humaines en voie d'extinction. Ici se cotoye une diversité étonnante de hippies, punks, rastas ou gothiques, qui apparaissent parfois comme les derniers représentants de courants culturels tristement éradiqués depuis longtemps en Europe. Le rock est très présent en Amérique du Sud. Dans chaque pays, il s'est fait une place alternative à côté des musiques locales. Et à Bogota, l'ambiance ressemble à un savant mélange de salsa et de rock'n roll. L'énergie artistique qui se manifeste à chaque coin de rue invite à la création. Je reprends le temps d'écrire et de lire : Le voyage à motocyclette du Che, Le pouvoir du moment présent de Eckhart Tolle, deux livres en phase avec ma vie actuelle.


Je visite aussi l'incroyable Musée de l'Or, sans doute l'un des plus beaux du continent. Il retrace de manière pédagogique l'histoire des très nombreuses communautés indigènes du pays, au travers des objets en or qu'elles ont produits au fil des siècles.




Je passe Noël avec Teresa, les artesanos et les artistes de rue de La Casa de la Montaña. Il y a des Colombiens, une Argentine, un Vénézuélien et un Péruvien. C'est comme si un concentré d'Amérique du Sud m'était offert pour achever en beauté l'année qui je viens de passer ici.




Mais les jours ont filé sans que je m'en aperçoive et je dois reprendre la route si je ne veux pas manquer mon rendez-vous avec Lena et Tomas. Ma soeur m'a envoyé un colis avec mon sac à dos de voyage personnel. C'est bien pratique car depuis que j'ai laissé le vélo à Santiago du Chili, il y a six mois, je voyage avec un sac à dos d'enfant prêté par un ami. Il n'était pas à ma taille et il ne pouvait pas contenir toutes mes affaires. Alors aujourd'hui, je suis heureux comme un Bernard l'Ermite qui vient de changer de coquille !

mardi 6 décembre 2011

Puerto-Nariño, le plus beau pueblo d'Amazonie



Après le départ de mes amis espagnols, je vais m'acheter un billet d'avion pour Bogota. A part faire un très grand détour par Manaus et le Vénézuela, c'est le seul moyen de transport possible ici car, en Colombie, aucune route ne traverse la forêt amazonienne. Je ne trouve pas de vol bon marché avant la semaine suivante. Mais qu'importe, le voyage m'a appris qu' " à toute chose, fin utile ". Je me dis qu'il y a sans doute une bonne raison à rester quelques jours de plus dans les parages. Et, une fois encore, la providence va me donner raison d'accepter la vie comme elle va...




Je décide de prendre un rapido pour remonter l'Amazone jusqu'à Puerto-Nariño. C'est la seconde " ville " de l'Amazonie colombienne. C'est en fait un bourg de 4000 habitants, dont la moitié doit avoir moins de 18 ans ! Le village est composé à 80 % d'une population indigène, majoritairement issue de l'Ethnie Tikuna, mais aussi des Ethnies Kokama et Yagua. 3300 Indiens vivent également dans les comunidades limitrophes. Autrefois rivales, les trois ethnies vivent aujourd'hui en parfaite harmonie, entre elles, ainsi qu'avec les nouveaux arrivants. Tous les habitants sont unis pour défendre la qualité de vie particulière qui règne à Puerto-Nariño. La municipalité a interdit les véhicules motorisés et a instauré le tri des déchets, ce qui fait du village un havre de tranquilité très propre. Tout se fait à pied par de petits sentiers en dur qui sillonnent une végétation exhubérante et des jardins fleuris, parsemés de petites maisons en bois, peintes de toutes les couleurs. En effet, depuis quatre ans, le maire a la bonne idée d'organiser un concours du plus beau jardin, avec à la clef un prix de 250 euros, une grosse somme ici. Alors tous les habitants se sont mis à l'ouvrage et le pueblo s'est tranformé en un véritable petit paradis tropical, comme on en rêve. Pourtant Puerto-Nariño est encore méconnu et très peu fréquenté par les touristes occidentaux. Mais cela a toutes les chances de changer dans les années à venir, car ce pueblo est certainement l'un des plus beau d'Amazonie.






A mon arrivée, je trouve à me loger chez Don Raul. C'est le bibliothècaire de l'école. Il est aussi artesano et propose cinq chambres à louer dans sa maison, où séjournent occasionellement quelques vacanciers de Bogota. C'est l'endroit idéal pour me poser quelques jours dans mon hammac et reprendre enfin le temps d'écrire. Don Raul est adorable. Il me raconte l'histoire de Puerto-Nariño, me fait visiter le bourg et me présente aux habitants, son cousin directeur de l'école, sa tante restauratrice au marché : " Ici, c'est tranquille. Il n'y a pas de délinquance. Tout le monde se connait. C'est un peu une grande famille. Il y quelques dizaines d'années, le village était sous le contrôle de narco-traficants mexicains mais maintenant tout cela est terminé. "






Aucunement perturbés par les bruits de moteurs, de nombreux oiseaux sauvages se promenent librement dans le village. Les perroquets jouent parfois aux réparateurs d'antennes satellite et chippent quelques bananes dans les jardins... " Pero, no pasa nada ". Rien ne peut nuire à la tranquilité parfaite des lieux. Pas même l'électricité, elle ne marche que quelques heures le soir. La place centrale s'anime alors un peu de lumières et de musiques, avec ceux qui jouent au foot et ceux qui regardent en buvant une bière. Je me sens bien dans ce paisible pueblo, où il n'y a pas grand chose à faire, que de partager un morceau de la vie de mes hôtes. Le Parc National Anacayacu est à deux pas, mais j'ai mon compte en ce qui concerne la selva. J'en ai bien profité au Pérou. J'y ai vu tous les animaux que je pouvais espérer, à part l'invisible jaguar, dont je n'ai vu que les empreintes. Mais ce n'est pas forcément une rencontre que je regrette, depuis que j'ai vu le terrible animal empaillé dans le musée ethnique de Leticia !






Un soir, Don Raul m'enmène dans sa maison d'enfance et me présente à sa mère, Abuela Edith. Elle est en train de confectionner des parrures en plumes pour la fête de la Pelason, qui va avoir lieu la semaine suivante. Cette cérémonie marque l'entrée des jeunes filles dans leurs vies de femmes. Abuela Edith  me raconte l'histoire de sa famille et l'incroyable métissage dont elle est le fruit : la vie difficile de ses ayeux d'origines européennes, venus dans la région pour exploiter le cahoutchouc et qui se sont finalement installés là, en se mariant avec des indiennes. Aujourd'hui que ses enfants sont grands, Abuela Edith est soucieuse de perpétuer les savoirs de ses ancêtres Tikuna. Elle fait partie de la Maloca Moruapu. C'est une casa de las abuelas ( maison des grands-mères ), où se réunissent les anciens de son clan pour faire vivre leurs traditions.






Le lendemain, Don Raul m'enmène à la casa de las abuelas. Dans une maloca traditionnelle, il y a deux femmes qui confectionnent des objets artisanaux, un vieux qui dort sur une souche d'arbre mort et un enfant trisomique qui fait de la guitard dans un hammac. Comme j'ai, au bras, une petite plaie qui s'est infectée, Don Raul me propose : " Abuela Pastora est curendera (soigneuse), si tu veux, elle peut te peindre..." Je m'attends à ce que la vieille me dessine quelques signes rituels autour de ma plaie, alors j'accepte. En fait, on me fait me déshabiller et les deux grand-mères se mettent à chanter au rythme d'un baton, chargé de sorte de grelots, qu'elles frappent sur le sol. Puis on m'enduit tout le corps du jus transparent et collant d'une plante. Quand c'est fini, elles me disent : " Maintenant, tu vas devenir tout noir, comme nous ! " Et elles rigolent : " Cela chasse les mauvais esprits et renforce le corps. Cela va te soigner. " En effet, ma peau se colore peu à peu, mais devient plutot bleue...






Et le jour suivant, je me réveille totalement bleu foncé, de la tête aux pieds ! J'ai un peu l'impression de m'être transformé en un personnage du film Avatar.  Maintenant, impossible de passer inappercu dans le village : les vieux me font des signes amicaux, mais j'entends aussi certains adolescents branchés dire : " Que c'est laid ces peintures ! ". Bon, il parraît que cela part tout seul... au bout d'une semaine !






Quelques jours aprés, encore bien bleu, je retourne à Leticia pour prendre mon avion à destination de Bogota. La carlingue s'élève doucement dans l'air humide et lourd de la selva. Dans l'envoûtante mer verte, à perte de vue, l'Amazone luit comme un serpent au soleil, avant de disparaître dans le sable des nuages tropicaux. Je réalise alors que je vais bientôt franchir la ligne équatoriale. Je vais retrouver l'hémisphère nord, après plus d'un an, passé la tête en bas !