Description

Mais aussi avec bien d'autres moyens de transport parfois des plus surprenants... Le 1er juillet 2010, je pars de Bretagne à vélo. Arrivé au Maroc, je traverse l'océan Atlantique en voilier-stop. Je passe ensuite un an et demi en Amérique du sud. Puis d'avril 2012 à septembre 2013, je traverse l'océan Pacifique en voilier. Enfin, en mars 2014, je reprends le vélo pour rentrer en France depuis Bangkok, en suivant la route de la soie à travers la Chine et l'Asie Centrale...

mardi 27 septembre 2011

Cordillères nord du Pérou

Cordillera Blanca : Laguna "69"
(photo de Leen Roels)

Le 9 septembre, Lena, Tomas et moi quittons Cuzco et reprenons la direction du Nord, à travers différentes cordillères andines. Nous évitons ainsi de passer par Lima, qui ne semble pas très agréable. La période des vacances estivales de l'hémisphère nord se termine et nous sommes enfin sortis des sentiers classiques. Autant dire, nous ne croisons plus aucun touriste. Après une nuit et une demie journée de bus, au travers de petites vallées perdues, nous atteignons Ayacucho. Cette route est sans doute la plus belle que nous avons vu depuis que nous sommes au Pérou. On traverse des petits bleds typiques, plantés au bord de vallées fertiles et entourés de monts arrides. L'effet graphique est garanti. Les maisons des pueblos sont en adobe. Cela me semble à l'avant garde de la modernité. Outre les qualités architectoniques de ce matériau, il a l'avantage de se fondre parfaitement dans le paysage et il est totalement bio-dégradable. Les Incas connaissait apparement le principe de " la maison jetable " : quand tu la quitte, elle s'auto-détruit ! Cela dit, ce qui est moins " bio ", c'est que la façade principale de chaque maison est peinte aux couleurs, sigles et slogan de l'homme politique défendu par son propriétaire ! Cela me fait marrer car j'imagine un instant la scène en France, avec 40% des maisons, où pendant une durée de quatre ans, il y aurait écrit en gros "SARKO" ! Remarquez, les gens réfléchiraient peut-être à deux fois avant de voter n'importe quoi...


A peine arrivés, nous rencontrons Jorge, un Péruvien qui voyage en faisant un spectacle de rue. Nous allons dans l'auberge bon marché où il loge et, le soir, nous lui faisons la claque, pour attirer le chalan. La première fois que nous voyons son spectacle, Jorge s'est installé devant un restaurant. Il est pantomyne. Son personnage de Roboman s'exprime, au gré de différentes musiques, par de petits couinements, très éloquents et très drôles. Mais bientôt, la patrone du restaurant intervient. Elle n'est pas contente d'avoir un atroupement devant chez elle et finit par appeler un agent de police. Malgré tout, Jorge continue imperturbablement son jeu d'acteur, utilisant avec habileté ces nouveaux intrus. D'un geste autoritaire, il demande au policier de circuler. C'est à mourir de rire, la foule l'acclame et siffle le pauvre flic, qui ne peut, sans sourciller, que subir la ridiculisation. Chaque soir, sur la terrasse de notre hotel, Jorge effectue son même rituel de maquillage, qui le transforme peu à peu en son personnage argenté. Les pantomynes ont toujours quelque chose de nostalgique qui les rend émouvants. Est-ce d'être sans voix ? Je sympathise rapidement avec Jorge. Je le filme dans le feu de l'action et je passe une soirée à re-scenariser avec lui l'ensemble de son spectacle.

Lena, Tomas et moi continuons ensuite notre chemin par Huancayo. Nous y trouvons une pension de famille, qui sert d'hospice pour personnes agées. Elle est tenue par une vieille bigote intraitable : " Il est interdit de rentré après 21h00, je dors moi et je ne vous ouvrirai pas ! " Compris chef, tampis pour le Huancayo by night, apparement, ça va pas être possible. De toute façon, la ville est bruyante et pas très belle. On dirait qu'il n'y a pas de feux rouges et tout se fait au klaxonne. Nous repartons le lendemain en direction depuis Huanuco, une bourgade de fond de vallée, au climat presque tropical. Après, pour rejoindre directement Huaraz, il faut encore traverser l'extrémité sud de la Cordillera Blanca par le village de La-Union. Nous mettons 4h00 pour faire140 kilomètres, sur une piste en épingle à cheveux, dans une voiture conduite par un shumarer en herbe ! Cette route de montagne est en bien mauvais état et les transports collectifs plus qu'aventureux. Après La-Union, nous nous retrouvons comprimés, avec 24 autres personnes, dans un combi, qui remplace un bus absent, un record digne du Guiness book ! On ne le voit pas bien sur la photo, mais à l'intérieur, on est littéralement empilés les uns sur les autres !

Enfin, après huit jours de trajet, nous arrivons finallement à Huaraz, rendez-vous incontournable de tous les montagneux. Nous trouvons une petite auberge, dont la terrasse a une vue imprenable sur la splendide Cordillera Blanca. C'est le lieu idéal pour s'arrêter un moment, se reposer, jouer... Avec Lena et Tomas, nous avons le même goût pour les jeux et faisons d'interminables tournois de cartes. Comme avant l'été, les gens que je croise maintenant sont le plus souvent des voyageurs au long court et non plus de simples touristes. Je rencontre deux anthropologues canadiens en recherche d'un sujet d'étude dans le secteur, un américain professeur de langue qui donne des cours dans une école de la ville, un Danois qui traverse la cordillère à cheval, ou encore un Français qui entame sa dixième année de voyage ! Quant aux cyclo-randonneurs, je n'en ai jamais autant croisés que depuis que je voyage en bus ! Tous ces gens ont en commun d'avoir compris que l'évolution de l'Homme passe forcément par une forme de renoncement aux biens matériels et aux conforts factices qu'ils offrent, prisons dorées pour l'esprit, stériles pour la création.

Près de Huaraz, se trouve le site archéologique de Chavin de Huantar. Je me rends sur place en collectivo (taxi collectif) avec Jonatan, un jeune cuisinier péruvien, qui rend visite à sa soeur. Sur place, je découvre une des plus anciennes civilisations du continent. Elle débute 1400 ans avant notre ère ! Le plus incroyable est qu'on trouve, dès cette époque, l'origine de l'iconographie qui sera reprise, vingt six siècles plus tard, par les Incas : le jaguar, les pictogrammes, la croix ajourée... La création n'est qu'un éternel recommencement, le mouvement de transmission de la flamme de vie.

( Photo Tomas Van de Wiel )

Après quelques jours de repos, Lena, Tomas et moi décidons de partir dans la Cordillera Huayhuash. Nous voulons faire le tour du massif de Yerupa, soit un minimum de 10 jours de trek en autonomie totale ! La veille de notre départ, un ami belge de Tomas a le bon goût de nous faire voir le film : " Touching the void ". C'est l'histoire vraie de deux escaladeurs anglais dont l'expédition tourne mal. Cela s'est justement passé dans la Cordillera Huayhuash, en 1985, merci ! Le lendemain matin, nous partons bien chargés, nos sacs à dos remplis de nouriture...

Mais le temps se dégrade rapidement. Après seulement deux jours de marche, soit 25 kilomètres, 1730 mètres de dénivelés positifs et 1120 négatifs, nous déclarons forfait. La saison des pluies a commencé et, en montagne, à plus de 4000 mètres d'altitude, cela signifie tempètes de neige ! Lena, au départ déjà pas très motivée par l'idée de faire un nouveau trek, décide d'abandonner aux premiers flocons. Après une journée à galèrer dans la neige, sans équipement adaptés, Tomas et moi lui emboitons le pas sur le chemin du retour. Nous regagnons la ville frigorifiés, trempés et couverts de boue de la tête aux pieds ! Cependant, ces montagnes sont certainement parmis les plus belles du monde, alors je rêve déjà d'y retourner un jour, à la bonne saison.

Autant il pleut et il neige en altitude, autant il fait beau soleil en vallée. De retour à Huaraz, je fais la connaissance d'une Brésilienne, Paula, et d'un Argentin, Léo. Nous allons tous les trois dans une station thermale de la région, prendre un bain chaud et sulfureux, qui me console et me remet tout à fait de mes courbatures. Au retour, on est pris en stop à l'arrière d'un pick-up, d'où on jouit d'une vue magnifique sur le coucher du soleil. Alors, dans ces cas là, tout simplement, on se dit : " Si c'est pas beau la vie ? ! "

(deux photos de Léonardo)

Voilà maintenant 15 mois que je voyage. Pour la première fois, ma famille, mes amis laissés en France et, plus généralement, mon pays me manque. J'y pense souvent en ce moment. Et j'ai besoin d'en parler. Je raconte comment était ma vie, avant, chez moi, là-bas. Peut-être ce sentiment est-il maintenant plus prégnant car je sens que mon voyage s'installe dans la durée, car je suis parfaitement heureux dans cette vie en mouvement, devenue mon quotidien. Mon rapport au temps à complétement changé. Je ne me sens plus du tout pressé d'avancer. chaque heure a son but. Et je sais que je ne suis pas à la veille de rentrer. Ce qui étaient des pré-sentiments, des aspirations, avant mon départ, sont maintenant des certitudes. Je ne reprendrai jamais ma vie d'avant. Mon envie de fonder un éco-village se transforme, chaque jour un peu plus, en véritable projet pour le futur. Je ne vois pas d'alternative possible à ma vie personnelle, ni à la transformation positive du monde. La peur que j'avais de m'exclure de la société s'est transformée en profonde conviction. Par mes rencontres avec tous ces voyageurs, tous ces artistes alternatifs, comme ces jours-ci Marco, je mets mon projet en mots. Il se construit, peu à peu, et prend corps, de plus en plus, aux boucles des oreilles, auquelles il trouve un écho.

Avant de quitter la Cordillera Blanca, Lena et moi faisons une dernière randonnée pour aller voir les eaux turquoises de la fameuse Laguna " 69 ", comme un dernier au-revoir aux hautes montagnes que nous allons bientôt quitter. Au loin se profile les 6768 mètres du Mont Huascarán...


lundi 5 septembre 2011

Cuzco, Machu Picchu et Choquiquerau




Voilà plus d'un mois que je voyage en compagnie de Lena et Tomas. Nous nous entendons bien et projetons de continuer à faire un bout de route ensemble, sans doute jusqu'au nord du Pérou. Alors, en arrivant à Cuzco, pour nous préserver un peu d'indépendance, mon couple d'amis flamants et moi décidons de nous installer dans deux auberges différentes. Mais c'est drôle de constater comme les amitiés se fondent sur des goûts communs, car nous ne cessons pas de nous retrouver par hasard dans la ville, aux mêmes endroits, aux mêmes moments.







Située à 3400 mètres d'altitude, Cuzco, dans son écrin de montagnes, est certainement l'une des plus belles villes d'Amérique du Sud. Elle fut la capitale de l'empire Inca et connut son apogée au début du XVème siècle, sous le règne de Pachacutec, le grand-père des trois derniers Incas fratricides, Atahualpa, Huascar et Manco Pacac II. La ville a été détruite par les conquistadors en 1533 et immédiatement reconstruite par eux, dans un pur style colonial, à même les fondations de la ville indienne.






Dans le centre historique, il en résulte un mélange étonnant, fruit de la superposition de deux architectures très différentes. A titre de soubassements, on retrouve souvent d'authentiques murs incas, dont la précision et la beauté des appareillages sont sans égales au monde. Et, surplomblant les rues pavées, émergent des balcons en bois ouvragé de style espagnol. Sur la vaste Plaza de Armas, les anciens palais ont été remplacés par des églises baroques et en place du Temple du Soleil Qoricancha, s'érige le Monastère Santo Domingo... Malgré la volonté farouche des conquistadors et de l'église catholique d'effacer toutes traces de civilisation antérieure, l'esprit inca transpire des murs de la ville.







Lena, Tomas et moi ne voyons pas le temps passer et restons finalement trois semaines dans le coin. Mais il y a tellement de choses à voir et à faire, en ville et aux alentours. " Cuzco " signifie " nombril " en Quechua et cette ville est bien le centre de forces sensibles qui nous saisissent et nous dépassent. C'est un endroit où l'on se sent bien. La ville, très riche et très propre, a un charme fou, qui nous réconcilie définitivement avec le Pérou. Après la Bolivie, le climat nous semble doux, même si les nuits restent fraîches. Mais, comme en Bolivie, il y a ici beaucoup de fêtes officielles, qui donnent lieu à de grands défilés costumés, dont la musique, rythmée de tambours et de cuivres, a de quoi réchauffer les plus frileux. En ce moment c'est le tube bolivien de Maria Juana, El idolo de amor, qui est repris partout.





Je visite les églises, les monastères, les musées. Peu à peu, je découvre l'incroyable civilisation Inca, fruit de toutes celles qui l'ont précédée : Chimú, Nazca, Moxo, Moches, Chavin, Tiwanaku... C'est une histoire qui commence 3000 ans avant notre ère et dont l'empire Inca est la dernière synthèse. Mais, après moins d'un siècle d'existence, ce nouvel empire et toute la culture millénaire qu'il représente ont été anéantis par les conquistadors. Devant tant de gâchis, on ne peut ressentir que sentiments de révolte et de désolation. Le massacre culturel, mené par cet imbécile de Pizarro, restera à jamais une perte de connaissances pour l'humanité toute entière.






Sur les hauteurs de la ville, la forteresse de Sacsahuamán a plutôt bien résisté aux destructions de l'envahisseur. Normal, quand on voit la taille des pierres ! Par contre, la mise en oeuvre d'une telle construction reste énigmatique. Le monde Inca garde encore bien des mystères. Aujourd'hui, du haut de cette montagne, c'est un Christ pas très jojo qui domine les maisons des Hommes. Mais, comme chaque jour, le dieu Inti se couche, apportant, dans sa course, une merveilleuse couleur orangée aux toits de tuile, au sein desquels serpentent escaliers et ruelles.




L'hospedaje, familiale et bon marché, où j'ai élu domicile, est située sur les hauteurs du quartier San Cristobal. Depuis la fenêtre de ma chambre, la vue est magnifique. Derrière les toits, je vois une partie de la grande place et la façade de la Cathédrale. Dans l'auberge, je rencontre un couple de Briançonnais, Karine et Laurent, et un couple de lyonnais, Gwen et Mickaël. Karine vient de passer son diplôme d'infirmière et Mickaël finit ses études de medecine. Il fait actuellement un stage à Cuzco. Un jour, il nous emmène à Tankarpata, l'endroit où il exèrce. Ici, nous sommes loin de l'image touristique de Cuzco. Cela nous donne un autre regard sur la ville, sans doute plus proche du quotidien d'une grande majorité de Péruviens. Dans le village, le french doctor est accueilli par une ribambelle d'enfants et, à peine arrivé, il est appelé pour une consultation. Karine, son infirmière du jour, est trop contente de l'accompagner. Pendant ce temps, Laurent et moi assistons au lavage des bétteraves, dans le ruisseau qui sert d'égout à tout le village. Mickael nous dit qu'une grande partie des enfants sont atteints de parasites et que son travail est autant curatif que pédagogique. Il tente d'apprendre aux familles des mesures d'hygiène, simples et élémentaires. Mais la tache est immense, au vu du temps qui lui est imparti.




Gwenelle voyage avec sa fille de neuf ans, Nora. Et chacune porte son propre sac à dos. Comme quoi, il n'y a pas d'age pour commencer à barouder !



Après quelques jours passés en ville, Lena, Tomas et moi décidons de nous lancer à l'assault du Machu Picchu, c'est à dire de trouver la façon la moins onéreuse et la moins stupide d'y aller. Le "Picachou", comme nous l'appelons entre nous, est devenu une vraie arnaque à gringos. A tel point que nous hésitons même à nous y rendre. Aucune route ne mène jusqu'au site et la grande majorité des touristes prennent un train, géré par une société chilienne, qui profite de son monopole pour pratiquer des prix disproportionnés. Une centaine de kilomètres sépare Cuzco du Machu Picchu mais l'aller-et-retour le moins cher, " formule spéciale back-packers ", coûte 70 euros ! Il est hors de question de nous plier à ce vol organisé ! Nous suivons l'itinéraire bis, des vrais routards. Cela consiste à faire 10 heures de bus, puis 2 heures de marche le long de la voie ferrée et, après une courte nuit à Aguas Calientes, à se lever à 4h00 du matin pour grimper, dans la nuit, les 1716 marches qui mènent à l'entrée du site, ceci afin d'être parmis les tous premiers visiteurs. C'est l'anti-inca-trail des gringos, à 490 euros la tête de pipe ! Et en plus, la ballade le long des voies est très jolie et très sympa à faire. Au détour d'un lacet de la rivière, le sommet du Wayna Picchu apparaît devant nous, majestueux. Avec le petit train qui passe par là, pour un peu, on se croirait presque dans Tintin et le Temple du Soleil !



Le lendemain matin, nous arrivons à 6h00 à l'entrée du site. Nous sommes parmis les dix premiers. Pas si mal, sachant que près de 3000 visiteurs sont attendus ce jour là. Nous pouvons découvrir, presque tous seuls, le Machu Picchu qui s'éveille dans la brume.



Pour rester dans les classiques de la BD, comme aurait dit Obélix : " Ils sont fous ces Incas ! " Avoir construit une ville, au fin fond d'une vallée paumée, au sommet d'une montagne recouverte par la forêt tropicale, en faisant venir les pierres de la montagne d'à côté, et il faut voir la taille des cailloux, le tout à l'unique force musculaire, celà a de quoi impressionner, subjuguer, questionner ! Rien que monter ces pentes raides avec son petit sac à dos de picnic, c'est déjà pas facile, il est impossible de comprendre comment ils ont fait... En tous les cas, seule une foi insolite a pu pousser des hommes à réaliser une telle oeuvre. On a tous vu des photos du Machu Picchu mais la réalité dépasse ce qu'on peut imaginer, car le site prend toute sa mesure au sein du paysage, absolument grandiose, qui l'entoure.






Lorsque les premiers touristes débarquent, nous grimpons au Wayna Picchu, le pic rocheux en arrière plan des ruines. On atteint le sommet par des escaliers à flanc de paroi et sans garde-corps, frissons garantis ! Sujets au vertige, s'abstenir. Nous passons la moitié de la journée en haut, échappant ainsi au gros de l'affluence, l'accès à la montagne sacrée étant limitée en nombre de visiteurs. A la descente, Tomas et moi partons visiter une grotte sacrée en contre-bas de la montagne. Mais, sur le chemin du retour, nous nous perdons un peu et nous nous retrouvons à devoir grimper à nouveau au sommet. Résultat, le site ferme et nous nous faisons involontairement enfermés dehors. Un grand moment de bonheur car nous avons, pour un moment, le Wayna Picchu pour nous tout seul !



Le jour suivant, nous rentrons à Cuzco. Sur le chemin du retour, nous visitons un jardin de plantes exotiques, aménagé dans un petit val perdu et sauvage, au bout duquel coule une cascade. Nous ne sommes qu'à quelques kilomètres à peine du site le plus fréquenté du Pérou, mais presque personne ne vient jusqu'ici. A la fraicheur du ruisseau, c'est l'endroit idéal pour se reposer, méditer, rêver. Tomas aime écrire. En ce moment, il rédige des nouvelles qui transforment la réalité de son voyage en véritables aventures fantastiques. Au bord de l'eau, nous nous amusons à inventer des histoires. Et si... Et si Christophe Colomb n'avait jamais découvert l'Amérique, mais si, au contraire, c'était les Incas qui étaient venus coloniser l'Europe. Un beau sujet de roman ! " Tu vois, là, ce qui brille dans l'eau, c'est de l'or, le trésor des Incas est ici. Tu ne me crois pas, regarde ces pépites dans ma main, attends, je plonge et je vais t'en remonter, moi, des lingots ! " Rêves et réalité sont parfois si proches. Au même instant, une comète, bien réelle, tombait à trois kilomètres de là, enflamant des pans entiers de montagnes. N'est-ce pas un signe ? En tous cas, c'est celà la magie du Machu Picchu : la force à donner l'envie de pouvoir inventer un impossible.







Après trois autres jours passés à Cuzco, Lena, Tomas et moi repartons faire un trek de cinq jours pour aller voir les ruines de Choquequirau, uniquement accessible à pied. Deux jours de marche sont nécessaires pour atteindre la cité secrète Inca qui est, par conséquent, très peu fréquentée. La randonnée commence dans un petit village, Cachora, perdu dans le fond d'une vallée. C'est là que je fais la connaissance de Suzanna. Elle se joint à nous pour la randonnée et, rapidement, je tombe sous son charme irrésistible... Nous ne nous quittons plus d'une semelle, d'autant que la gaillarde porte bravement toutes nos affaires. Marcher avec une mule est nouveau pour moi. La bête impose un rythme que nous devons respecter. Il faut s'occuper d'elle, la faire boire, la nourrir et surtout arriver à la charger correctement, ce qui n'est pas une mince affaire. C'est un vrai travail, une vraie responsabilité, un vrai amour, quoi ! Dans les montées, nous souffrons avec elle et, dans les descentes, nous frémissons qu'elle ne bascule dans le ravin ou ne se torde une patte. Lena et moi voulions absolument ne pas prendre les services d'un arriero (muletier) pour vivre pleinement cette nouvelle expérience de voyage, au final très agréable.







Le premier jour, le trek suit une longue descente de 1500 mètres de dénivelés, sur un petit sentier accroché aux pentes abruptes de la montagne. Nous changeons progressivement d'altitude et les températures augmentent graduellement au fil des heures, créant des micro-climats variés, propices à différents types de végétations. Le soir, nous trouvons, dans une petite ferme, un terrain plat, où poser les tentes. Il fait chaud et humide mais, crevés, on ne tarde pas à trouver le sommeil.








Le matin, nous retrouvons Suzanna ensanglantée. Durant la nuit, elle s'est faite attaquer par des vampires, ces monstrueuses chauve-souris géantes, qui sucent le sang des équidés. Pour notre part, nous avons servi de festin à de minuscules moustiques, particulièrement voraces, qui ne se suffisent pas d'une simple piqure, mais qui arrachent un bout de peau au passage. Nous commençons à croire qu'il y a un tribu à payer, en hémoglobine, pour avoir le droit d'accèder à Choquequirau. Criblés de taches sanguinaires, nous reprenons le sentier du sanctuaire Inca. En fond de vallée, nous traversons l'Apurimac. C'est une petite rivière tumultueuse. Mais, dans quelques centaines de kilomètres, ce cours d'eau aura une taille gigantesque et se nommera : Amazone ! De l'autre côté du pont suspendu, ça grimpe sévère. Il nous reste encore à faire 1500 mètres de dénivelés positifs pour arriver au site.







Ce jour là, c'est mon anniversaire. Et la fête commence dès mon réveil. Lena et Tomas me font souffler une bougie symbolique et m'offrent une nouvelle casquette. Puis, tout au long de la journée, ils ont mille petites attentions pour moi. Ils sont vraiment sympas. Pour couronner le tout, le soir, pour la première fois de ma vie, je mange des couilles ! Ça s'écrit " cuy ", mais ça se prononce " couille ". Ce sont d'adorables petits cochons d'inde. Depuis que je suis au Pérou, on n'arrête pas de m'en proposer partout. Chaque fois je refuse, plutôt dégouté, en souvenir de mon premier petit animal de compagnie. Mais, ce jour là, lorsque la jeune femme, chez qui nous avons posé nos tentes, me dit que c'est le menu d'excellence du cumpleaños, je me résigne à accepter.







Résultat : c'est pas terrible. Mais le plus dur dans l'histoire, c'est qu'il se met à pleuvoir et que nous devons nous réfugier dans la cuisine de notre hote, lieu où elle fait son élevage. Un moment pas facile : manger le " papa-couille " sous les regards apeurés et les couinements de tous les " enfants-couilles ", on se sent soudainement carrément coupables, et malgré tout obligés de faire honneur à notre hôte, qui a mis cinq heures pour préparer la bête et en attend quelques compliments.








Le jour suivant, nous atteignons enfin Choquequirau. Le site est plus étendu que le Machu Picchu mais moins spectaculaire car la plus grande partie des ruines, ensevelie sous la forêt tropicale, reste encore à découvrir. Les constructions dégagées sont cependant impressionantes. Elles adhérent, de facon stupéfiante, aux parois verticales. En suspension au dessus du vide, ces insensés vaisseaux de pierre semblent flotter dans un ciel de verdure. Le Pérou est un pays tout simplement vertigineux !