Description

Mais aussi avec bien d'autres moyens de transport parfois des plus surprenants... Le 1er juillet 2010, je pars de Bretagne à vélo. Arrivé au Maroc, je traverse l'océan Atlantique en voilier-stop. Je passe ensuite un an et demi en Amérique du sud. Puis d'avril 2012 à septembre 2013, je traverse l'océan Pacifique en voilier. Enfin, en mars 2014, je reprends le vélo pour rentrer en France depuis Bangkok, en suivant la route de la soie à travers la Chine et l'Asie Centrale...

lundi 21 novembre 2011

Traversée de la Réserve Pacaya-Samiria en pirogue




Je n'ai passé que cinq jours à Lagunas mais, ici, les gens sont si conviviaux que je m'y suis fait plein de nouveaux copains. Le 3 novembre, je pars dans la selva avec Aquilès, l'un des guides qui travaille avec Manuel. Nous allons traverser la Résèrve Nationale Pacaya-Samiria, de l'ouest au nord-est, en pirogue, sans moteur, mais à la rame ! Nous partons du petit rio Tibi, situé à une quinzaine de kilomètres de Lagunas, d'où nous allons rejoindre le rio Samiria, puis le rio Marañon, que nous allons suivre jusqu'à Nauta. C'est une expédition qui devrait durer 17 jours ! A vol d'oiseau, Lagunas est distante de 250 kilomètres de Nauta mais, en suivant les très nombreuses circonvolutions de la rivière, cela fait plus de 600 kilomètres à parcourir, soit environ 35 kilomètres et 7 heures par jour à la rame. Autant dire, cela va me faire les muscles !







Les trois premiers jours, nous croisons quelques rares touristes. La plupart font un tour compris entre 3 et 6 jours, ce qui ne permet pas de rentrer profondément dans le parc. Les deux semaines suivantes, les seules personnes que nous rencontrons sont des pêcheurs vivants dans les communautés voisines de la réserve, les guarda-parques et quelques biologistes, venus étudier une espèce particulière de la faune ou de la flore. L'accès à la réserve est très surveillé et n'est autorisé qu'aux visiteurs accompagnés d'un guide et s'étant acquité d'un droit d'entrée. De toutes façons, il est très difficile de s'aventurer tout seul dans la selva, quand on n'en connait pas les ressources et les dangers. Même en suivant le cours d'un rio, il est facile de se perdre dans les méandres de la rivière. Et, à pied, hors des très rares sentiers tracés, il faut faire son chemin à la machette. Aquilès est l'un des seuls guides à traverser la totalité de la réserve et, en dix ans d'expérience, ce n'est que la quatrième fois qu'il le fait. Il sait comment vivre dans la forêt tropicale et connait très bien la réserve depuis son enfance. Il y a même travaillé deux ans, en tant que guarda-parque, avant de devenir guide. Pourtant il n'est jamais allé aussi loin de chez lui vers le nord. Il n'est jamais allé à Iquitos, capitale de sa région, ni même à Nauta !





Au début, j'ai un peu de mal à suivre la cadence. Après trois heures, je suis épuisé et laisse souvent Aquilès ramer seul. Et puis, les jours passant, mon corps commence à s'habituer à l'effort. Au sein de notre duo, s'impose un petit rythme, calé sur la course du soleil. Nous sommes proches de l'équateur. Toute l'année, il fait jour à 6h00 précise et nuit à 18h00. Pour profiter de la très relative fraîcheur matinale et espérer voir un maximum d'animaux, nous nous levons à 5h00 et partons à 6h00, après un bon déjeuner de poissons et de riz. Aquilès est un excellent pêcheur. Il assure, sans difficultés, nos repas quotidiens. Les eaux troubles du rio bouillonnent de vie. Le plus souvent, il harponne ses proies, mais il pêche aussi à la canne des poissons de plus petite taille. Il tente de m'apprendre ses techniques mais, pour ma part, je ne ramasse que des piranhas, très faciles à attraper, mais pas très bon à manger ! Aquilès sale le surplus de poissons récolté afin d'assurer notre subsistance à la fin du séjour, car il pense que la pêche sera moins facile en aval de la rivière.







Nous faisons généralement un arrêt entre 12h00 et 14h00 et nous posons le campement du soir vers 16h00. Au bord de la rivière, Aquilès débroussaille rapidement une clairière à la machette et monte une grande bâche plastique en guise d'abri. Dessous, il installe sa moustiquaire et je monte ma tente. Parfois, nous dormons aussi dans les huttes  des gardes de la réserve. Ce sont généralement de simples haut-vents en bois, avec des toîts en palme. Après nous être installés pour la nuit, il faut se laver dans le rio, plein de piranhas, de crocodiles et de toutes autres sortes de bestioles. Je m'accroupis rapidement dans l'eau boueuse pour faire mes ablutions, en me sentant parfois mordillé par un poisson. Aquilès me rassure comme il peut : " Les piranhas, non, ce n'est pas dangereux, si tu ne saignes pas. Les crocodiles, ici au bord, ça ne risque rien ! " Bon, après il me raconte qu'untel s'est fait croquer une jambe, mais que c'était de sa faute car il avait marché sur la queue du caïman... Parfois, alors qu'une petite plage de sable me semble plus accueillante, Aquilès me met en garde : " Ici, fais attention, il faut sonder le sable avec un baton avant de marcher, car il peut avoir des raies électriques... " J'apprends, peu à peu, les véritables dangers de la selva. La seule chose que redoute vraiment Aquilès, ce sont les serpents vénéneux. Une nuit, il tue un cobra mortel de 1,5 mètre, qui était en train de se faufiler entre nos couches ! Mais finalement, le plus pénible, ce sont les moustiques et les taons. Tant qu'on est sur l'eau, il n'y en a pratiquement pas. Mais dès qu'on s'arrête, pour marcher en forêt, déjeuner ou bivouaquer, les insectes pullulent. Malgré la chaleur, je me couvre alors de la tête aux pieds, pour limiter les zones de ma peau à découvert. Aquilès, lui, reste en short, en débardeur et pieds nus ! Comme si de rien n'était, il continue ses activités, en se servant de ses mains comme de grandes tapettes à mouches, qui s'abattent régulièrement sur une partie de son corps, sans que cela ne semble aucunement le perturber. " On s'arrête pour manger. Il faut bien qu'ils mangent, eux aussi ! " dit il avec philosophie. " Et puis les moustiques, ça rend les hommes plus forts ! " A 18h00, quand la nuit tombe, nous faisons un rapide diner et nous nous réfugions sous nos moustiquaires respectives. Et, à 20h00, nous nous endormons, exténués malgré le concert tonitruant des animaux de nuit. Avec souvent, comme gardienne de mes rêves, une araignée grosse comme le poing, en train de courir au dessus de ma tête, je dors comme un bébé !







Nous ne faisons pas que de la pirogue. Parfois, nous partons aussi faire une petite incursion de quelques heures dans la forêt, machettes à la main, pour tenter de voir d'autres animaux. Après dix mètres dans la jungle, je perds totalement mon sens de l'orientation, tant le couvert végétal est dense. Heureusement, Aquilès semble avoir un GPS intégré au cerveau et il finit toujours par retrouver notre chemin. Au fil des jours, il m'apprend à reconnaitre la faune et la flore. En bon élève, je note scrupuleusement dans mon carnet le nom de chaque espèce nouvelle, avec une brève description des qualités physiques, des propriétés techniques et thérapeuthiques, de l'animal ou de la plante. Au bout de deux semaines, j'ai un répertoire de plus de deux cent noms : insectes, papillons, poissons, reptiles, batraciens, caïmans, tortues, dauphins gris et dauphins roses, vaches de rivière, une dizaine d'espèces différentes de singes, tapirs, cochons sauvages, loups de rivière, loutres et plus d'une centaine d'espèces d'oiseaux, mais la liste serait trop longue, et c'est sans compter toutes les plantes médicinales... Ici, la faune et la flore sont d'une richesse incroyable ! Malheureusement, mon appareil photo étant un petit compact de base, je n'ai pas pu faire de belles photos d'animaux. Souvent ils sont trop loin ou trop rapides pour moi ! C'est pourquoi vous n'aurez ici que des petits spécimens, un peu lents. Voici quelques uns de mes compagnons quotidiens...








Mais gare à moi si j'oublie le nom de l'un d'entre eux, car Aquilès m'interroge régulièrement : " C'est quoi ça ? Mais si, nous avons déjà vu cet arbre, il y a trois jours... on se sert de la sève quand on a mal à l'estomac ! ... Et ce chant, c'est de quel oiseau ? " Heu... pas toujours évident, d'autant que mon camarade a un accent à couper au couteau. Souvent, je suis obligé de lui faire répéter trois fois avant de comprendre ce qu'il me raconte. C'est à me faire douter de mes modestes rudiments linguistiques, jusqu'à ce qu'un Colombien de Bogota me rassure en me disant qu'il ne comprenait pas un fichtre mot de l'Espagnol parlé par les habitants de la selva ! Mais dixit Daniel, mon ami Argentin de Olinda et premier professeur d'Espagnol : " 50 % de la comunicacion no es verbal ! "  Alors, avec Aquilès, on finit toujours par se comprendre. De toutes les manières, nous n'avons pas vraiment le choix, vu qu'on est seuls sur une barque, l'un avec l'autre, 24 heures sur 24, pendant plus de deux semaines ! Si bien que je finis par apprendre, chaque jour davantage, comment vivre dans ce milieu, qui m'est totalement étranger et, a priori, hostile. Enfin, le rire n'a pas de frontières et je donne à Aquilès quelques occasions de franches rigolades. Une fois, je rate ma descente de la pirogue et me retrouve les quatre fers à l'eau. Une autre fois je fais une belle glissade sur les rives argileuses du rio, un vrai bain de boue. Ou encore je me retiens à un arbre plein d'épines, ouille !!! Un autre jour, alors que je reste tranquilement à l'ombre d'un arbre, je ressens soudain des démangeaisons dans tout mon corps : je suis attaqué par un essaim de fourmis rouges en furie. " Oui, cet arbre, il ne faut jamais le toucher, c'est l'arbre à fourmis ! Mais c'est pas grave, ça rend les hommes plus forts ! " me dit Aquilès en riant. Pour lui, je dois ressembler à un  enfant à qui il faut tout apprendre. Un enfant de deux ans, parce que les enfants de trois ans, ici, ils ont déjà des machettes et savent bien s'en servir !







Plusieures espèces en voie de disparition vivent dans le Réserve Pacaya-Samiria. La Charapa est la plus grande tortue aquatique d'eau douce du monde. Elle peut atteindre 1 mètre de diamètre. Espèce endémique, elle bénéficie d'une protection particulière. Afin de maximiser ses chances de reproduction, les guarda-parques, récoltent ses oeufs sur les plages de la rivière et les mettent en couveuse, près de leurs campements, dans de grands bacs à sable en plein air, protégés des prédateurs. A la fin de la période d'incubation, ils ouvrent les nids afin de libérer les bébés tortues, qu'ils vont ensuite réintégrer la rivière. Au milieu de notre parcours, Aquilès et moi avons la grande chance d'arriver dans un poste de rangers le jour de la récolte annuelle. C'est pas mal de travail et je propose mon aide. Je participe ainsi à l'éclosion et à la mise à l'eau de 2766 petites tortues Charapas. Trop mignon ! Les guarda-parques ne sont pas mécontents d'avoir de la visite. Ils ont vraiment une vie particulière. Pendant 45 jours, ils vivent à deux ou trois dans une cabane en bois, seuls au milieu de la forêt, vivant du fruit de leur pêche et de la production de leur petit jardin. Après quoi, ils retournent habiter 10 jours dans leurs villages avec leurs familles. Ils sont aujourd'hui 72 sur l'ensemble de la réserve. Ils gagnent 200 euros/mois en début de carrière et 625 euros/mois au bout de quelques années... Dans un autre poste de surveillance, je rencontre l'un d'eux avec sa copine, venue lui rendre visite. Cette dernière a 17 ans ; elle est mère d'un enfant de 4 ans et son compagnon a 41 ans ! Je m'en étonne auprès d'Aquilès. Il me répond : " C'est comme ça ici. Dans les petites communidades, il n'y a pas d'éducation, pas de prévention, et les filles ont des enfants très jeunes avec des amis de leur âges. Alors, après, elles se mettent en ménage avec quelqu'un de plus agé. "







Après une dizaine de jours, ce qui m'apparaissait, dans un premier temps, comme un " enfer vert ", prend d'autres significations. Peu à peu, je réalise que je suis dans une véritable encyclopédie vivante, un garde-manger à ciel ouvert, une pharmacie sans limite. Un étranger perdu dans la forêt ne surviverait certainement pas longtemps. Mais un Indien de la selva connait parfaitement son milieu. Il sait exactement comment exploiter au mieux ses richesses, de manière efficace et raisonnée, dans un parfait respect de sa pérénité. Mais aujourd'hui, cette forêt disparait chaque jour davantage et brûle avec elle autant de livres du savoir ancestral de l'humanité toute entière. Peu à peu, je me laisse prendre par le rythme lent de la rivière et par sa beauté tout en reflets. Aquilès et moi passons souvent de longs moments en silence, que seul perturbe le clapoti de nos rames dans l'eau. Mes sens se sont aïguisés. A présent, je vois, j'entends, je sens différement. Je préssens la nature qui m'environne. Je comprends à quel point, en tant qu'être humain, je ne suis qu'une minuscule partie l'immense écosystème que constitue le vivant. Ma méditation sportive est parfois surprise par la respiration profonde d'un dauphin qui nous suit ou par les cris rauques et inquiétants des singes-rouges-hurleurs en train de donner l'alerte. La selva est un mystère envoûtant. Il faut prendre le temps de l'apprivoiser si on souhaite y distinguer quelque chose, commencer à sentir et à ressentir.







Au fil des jours, la rivière Samiria grandit de plus en plus, avant de se jeter dans le rio Marañon. Au milieu de ce dernier, plus large que le Rhône, notre frêle embarcation ressemble à une petite feuille bien minuscule. Malheureusement je n'ai pas pu prendre de photos de cette dernière étape car je n'avais plus de batterie ! Le niveau de l'eau est encore bas. Il devrait monter d'une quinzaine de mètres d'ici au mois de mars, à la fin de la saison des pluies. Les pueblos qui bordent la rivière se transforment alors, pour certains, en véritables villages lacustres. Mais, ici aussi, le dérèglement climatique se fait sentir et, cette année, la saison des pluies a déjà plus d'un mois de retard ! Le seul avantage pour Aquilès et moi est que nous n'avons eu à endurer que quatre ou cinq grosses averses en 17 jours.  Le courant du Marañon est puissant et il nous porte, en moins de deux jours, jusqu'à Nauta, où s'achève notre merveilleuse expédition.







Certainement la meilleure adresse pour visiter le reserve Pacaya-Samiria :
ESTYPEL (Associcion ACATUPEL) Avenida Padre Lucerno 1345 - Lagunas - Loreto - Peru
info@estypel.com & www.estypel.com - Tels : 979 770 803& 06 40 10 80

Sinon, le bon plan, pour ceux qui ont le temps et le courage :
C'est de faire une demande pour être " volontario " dans la réserve Pacaya-Samiria.
Pendant 45 jours, vous aiderez les guarda-parques et partagerez leur quotidien.
C'est une vraie immersion et, dans ce cas, il n'a rien à payer pour séjourner dans la réserve.



mercredi 2 novembre 2011

Rio Huallaga et communidad de Lagunas



Après quinze jours passés à Tarapoto, je reprends la direction de la selva. Aucune route ne dessert Iquitos, la capitale du Loreto, qui compte pourtant 370 000 habitants. Le seul moyen de se rendre dans cette ville, autrement que par les airs, est de prendre un bateau à Yurimaguas, pour descendre le rio Huallaga. J'achète un billet (à 7 euros) pour Lagunas, une communidad située à environ 200 kilomètres de là, soit à onze heures de navigation ! Ce village est limitrophe de la Réserve Nationale Pacaya-Samiria, la seconde du Pérou en superficie. Je me dis que c'est sans doute un bon point de départ si je décidais de m'aventurer dans la forêt. En arrivant au port, j'apprends qu'il n'y a pas de départ avant le lendemain matin. On me conseille d'aller m'acheter un hammac et de m'installer sur le pont pour y passer la nuit. Le jour suivant, le Romantico II quitte le petit port de Yurimaguas. Sa cale est remplie de provisions en tout genre et, sur le pont intermédiaire, a poussé une forêt de hammacs. Ces embarcations à fond plat, sont l'unique moyen de transport de la région, tant pour les hommes, pour les animaux, que pour toutes sortes d'outils et de matériaux. Ce sont de véritables petites Arches de Noé, qui assurent l'approvisionement de toutes les petites communidades, implantées le long de la rivière. Le chargement et le déchargement sont de vrais spectacles. Pour ma part, je suis presque tout seul sur le pont supérieur, à coté de la cabine du Capitaine, d'où je jouis d'une grande tranquilité et d'une relative fraicheur. Alongé au-dessus des flots, je vois s'éloigner les derniers reliefs andins, puis défiler les rives boisées de la rivière. J'aborde un paysage nouveau de mon voyage. La selva est dense à perte de vue. Et la platitude de la géographie la donne à voir comme une immense mer verte aux dimensions infinies, agrémentée par les vagues de quelques arbres sur-dimensionés. Malgré la pollution certaine des eaux, qui servent généralement d'égout, les animaux sont encore nombreux. Je vois quelques dauphins d'eau douce et des oiseaux de toutes sortes. Au milieu du rio, la qualité de la lumière est vraiment exceptionelle. Au fil des heures se décline toute une palette de tons pastels, qui se reflètent dans les eaux, avant de mourir, le soir venu, dans des rouges flamboyants. Baigné par la chaleur hummide de cet immense hammam naturel, je comprends que j'ai pénétré dans un monde nouveau : la forêt amazonienne.







A bord du bateau, il n'y a que trois autres occidentaux, deux Canadiennes et un Américain, qui travaillent actuellement dans une O.N.G. à Tarapoto. Ils prennent quelques jours de vacances pour aller faire un tour dans la selva. Les quatre-vingt autres passagers sont tous des locaux qui regagnent leurs pueblos, après quelques jours en ville. Maintenant que je voyage à nouveau seul, je suis en pleine immersion linguistique et ce tour en bateau est l'occasion idéale pour pratiquer mon mauvais Espagnol. Depuis que je suis au Pérou, je trouve les gens particulièrement aimables, mais en Amazonie, ils sont tellement gentils, qu'en bon occidental, cela me parrait parfois presque suspect : " Mais qu'est.ce qu'ils me veulent ? " Rien, c'est simplement comme ca, ici, les relations entre humains. Les codes sont très différents. Les gens sont francs, directs, sans aucun faux semblants et sans manières apprétées. Au début, c'est persque intrusif, ces regards persistants. Puis, on s'habitue, car il n'y a pas de mal. Un étranger, il est différent, alors on le regarde avec attention, de manière soutenue. Ce n'est pas pour le géner, c'est juste de la curiosité.







Sur le pont, je rencontre José. Il habite Lagunas et il est guide dans la réserve Pacaya-Samiria. Il m'invite à une fête organisée le lendemain soir chez Manuel, son boss. Je fais aussi la connaissance de Paulo-Armando, un negocio, venu à Yurimaguas pour acheter une quarantaine de poulets, qu'il compte revendre à Lagunas, où il tient son commerce. Il a le type indien et je lui demande s'il connait ses origines ethniques, s'il parle une autre langue que l'Espagnol. En riant, il me répond que non : " A Lagunas, nous sommes des civilisés ! Nous avons de l'éducation ! Nous ne sommes pas des sauvages de la forêt avec des plumes sur la tête ! ". Dans nombre des petits villages de la selva, beaucoup de gens aspirent à un mode de vie occidental, souvent au mépris de leur culture d'origine. En anthropologie, ces populations sont qualifiées de métisse, culturellement parlant. La défense de l'indianité se trouve généralement chez les gens les plus cultivés, au sens occidental du terme. C'est comme si les personnes les plus éloignées de leurs racines, ressentaitent, plus que les autres, le besoin identitaire comme une urgence à défendre leur culture d'origine en voie de disparition. Les autres souhaitent le plus souvent se tourner vers la modernité, sans avoir conscience de la perte culturelle que cela engendre.







A Lagunas, il n'y a l'électricité que depuis quelques années seulement. Elle est produite par un générateur qui marche au pétrol et elle n'est disponible que quelques heures chaque soir. Avec elle, sont apparus dans chaque foyer, télévision et téléphone portable. Pour ce qui est d'internet, la seule possibilité se trouve, pour l'instant, dans une boutique où il y a quatre vieux ordinateurs et une connection extrèmement mauvaise. Mais quelques heures de télévision chaque soir, avec ses images de paradis artificiels, présentés dans les publicitées, les novelas et les jeux stupides, suffisent à créer de nouvelles aspirations. Les images difusées d'un Pérou imaginaire, qui aurait un mode de vie à l'Américaine et oú tout le monde aurait la peau claire, sont sans aucun rapport avec la réalité de la plupart des Péruvien. Mais qu'importe la schizophrénie, elles attirent irrésistiblement tout un potentiel de comsommateurs dans la grande machine capitaliste, toujours en quête de croissance. Il est regrétable que le développement commence toujours avec les choses les plus néfastes du monde dit civilisé. Et tous ces gens se soucient peu des contingences environementales. Ici, la forêt recule chaque jour davantage mais les population qui l'habitent la considère encore comme une source inépuisable de richesse. Bref, on est mal barré !







J'arrive à Lagunas à la nuit tombée et trouve une chambre chez une habitante. Au matin, je découvre le village. Il se compose d'une rue principale sur laquelle débouchent quelques pistes en terre, envahie par les herbes. Au milieu d'un champs, une immense place centrale en construction préfigure le futur centre de l'aglomération. Apparement, on envisage les choses en grand. Le projet de route jusqu'à Iquitos se précise et celle-ci devrait passer par ici. Mais pour l'instant, il n'y a que quelques constructions en bois, éparses le long du maillage planifié. Les bâtiments se construisent tous de la même facon. On commence par faire un haut-vent, puis on met quelques planches pour délimiter un intérieur. Quand on a plus d'argent, on remplace le rideau par une porte d'entrée, puis quelques cloisons intérieures, en fonction des besoins. Avec le temps, à la place des cloisons en bois, on construit des murs en béton, l'un après l'autre, en commencant par celui de la facade principale. Quand tous les murs sont finis, après quelques années, on se fait un sol en ciment, puis un beau toît en tole ondulée. Aujourd'hui, avec ces facades qui flottent parfois dans le néant, le village ressemble à un décor de cinéma pour weterns. Cette esquisse urbaine n'est pas sans un certain charme. Les bâtiments justifient leurs fonctions par des représentations symboliques réduites à l'essentiel ; un haut  -vent avec trois bancs et un vieux agenouillé devant un pupître suffisent à comprendre :  ah, voilà l'église ! Je prends plein de photos car je sais que dans 20 ans, ce petit village n'aura plus rien à voir. Ce sera certainement une ville de la taille actuelle de Tarapoto. Pour l'instant,  On a l'illusion, qu'ici, tout serait possible et c'est bien le danger. J'ai le sentiment de me retrouver à l'époque de Buffalo-Bill, sauf qu'ici, il faudrait appeler la colonisation de la forêt, la conquète du Far-East ! Et, les colons sont des indiens, qu'on appelle oficiellement " civilisés ", car coupés depuis plusieurs générations de leurs racines. Dans ce contexte expansioniste, à part les grands parques nationaux, il est illusoire de croire qu'il va encore rester un peu de forêt amazonienne pour la génération à venir. Je vous le dis, on est mal barré !










Le soir, je vais à la fête chez Manuel. Il recoit, dans sa maison et pour une durée de 24 heures, l'Icône del Señor de los Milagros, très vénérée au Pérou. Dans chaque ville, il y a une reproduction de l'originale qui siège à Lima. Durant tout le mois d'octobre, les habitants se relaient pour acceuillir l'image sainte chez eux et l'honnorer en faisant la fête. Les reproductions sont de différentes qualités. Ici, c'est une simple photocopie couleur, mais qu'importe ! Nous sommes le 31 octobre et c'est le dernier jour où le Seigneur des Miracles est célébré. Alors on a décoré les lieux à ses couleurs, violet et blanc, et c'est bien le principal. A la tombée du jour, un prêtre vient faire son office, puis deux tambours et une flute vont jouer pendant 24 heures, sans s'arrêter ! Tout le village est invité. Comme il n'y a pas assez de places à l'intérieur de la maison, on a aussi disposé des bancs dans la rue. Tout le monde vient danser, un pas en avant, un pas en arrière, devant l'Icône, au son rythmé des tambours. Et puis on boit beaucoup d'alcool, de fabrication " maison ". Il s'agit d'une sorte de bière, fait à partir de canne à sucre et de manioc maché, puis recraché dans de grands tonneaux, ce qui assure une fermentation efficace ! La préparation est un peu ragoutante mais il est tout à fait incorrect de refuser un verre, alors, à partir du troisième, on fait abstraction ! A tour de rôle, chacun doit faire tourner la bouteille, servant l'un après l'autre tous les invités, qui doivent boire un grand bol, cul sec. Le dernier prenant la place du serveur, les bouteilles tournent ainsi sans discontinuité, pendant 24 heures, le temps de vider les 600 littres de préparation ! Au milieu de la nuit, tout le monde est bien chaud. Ca danse, ca boit, ca fume, ca rigole, avant de finir par rouler sous la table. C'est pour le moins une réappropriation originale, mais sincère, du culte catholique !









Le jour suivant, Paulo-Armando me recoit chez lui, une barraque faite de quatre planches, avec un sol en terre battue. Il a acheté ce terrain de 130 m2, sur " l'avenue principale de la ville ", il y a trois ans pour la modique somme de 150 euros ! Il me fait aussi visiter son campo, situé à 4 kilomètres de la place centrale. C'est un bout de forêt tropicale, de 64 hectares, qu'il a acheté il y a six ans, 500 euros ! Il compte y construire un complexe hotelier pour les touristes, qu'il espère de plus en plus nombreux, à venir visiter la réserve. Je lui dit qu'il a intérêt à réaliser son projet dans le respect de l'environnement car c'est l'avenir et  c'est seulement ainsi qu'il aura des clients... A côté de son terrain, il me montre un champs : "Avant, les avions colombiens aterrissaient ici pour faire le traffic de cocaïne ". De nombreuses personnes du village travaillaient alors dans la culture de la coca et dans sa transformation en base... Au retour, sa femme me demande : " Alors, ca te plait Lagunas ? C'est une grande ville ! " Je réponds : " Oui, c'est une grande et très jolie ville. Mais il n'y a pas d'école ou bien c'est les vacances, car je vois pleins d'enfants partout qui jouent dans la rue ? " " Si, il y a une école mais en ce moment, elle est fermée. Les professeurs sont en grève car ils attendent de recevoir plusieurs mois de salaires en retard de la part du gouvernement."





Aujourd'hui, les Indiens, ce sont de vrais cow-boys !







Le 2 novembre, c'est la fête des défunts. A la cantine du coin, je rencontre Pedro, le medecin du pueblo et Vicente, l'obstétricien. Ils sont ici pour une période de un an et me racontent l'exercice de leur profession dans cette communauté pauvre du Pérou et dans les coins les plus reculés de la selva. Nous passons l'après-midi à discuter, avant de nous rendre ensemble au cimetière. Tout les villageois y sont réunis pour honnorer leurs morts, en venant partager avec eux, sur leurs tombes, ce qu'ils aimaient le plus, comme plats, alcools et musique ! C'est joli, il y plein de petites bougies partout. L'ambiance est joyeuse et festive. Certains sont même passablement éméchés, ayant abusés des présents apportés. Pedro m'enmène ensuite visiter l'hopital où il travaille avec son unique collègue. Le bâtiment est immense et flambant neuf, mais totalement vide. Pedro m'explique alors que Lagunas était, il y a quelques années, une plaque tournante du marché de la cocaïne. Mais le gouvernement a mis fin au traffic et, en contre partie de la perte économique pour les habitants, il a investi dans beaucoup d'infrastructures. Cette petite communidad est en train de se transformer en vraie ville. Très prochainement, elle sera le port le plus proche pour aller à Iquitos, remplacant Yurimaguas, et aussi la porte d'entrée privilégiée pour aller dans la Réserve Pacaya-Samiria.  Les hommes avancent, la forêt recule et, aujourd'hui, les Indiens, ce sont de vrais cow-boys !