Description

Mais aussi avec bien d'autres moyens de transport parfois des plus surprenants... Le 1er juillet 2010, je pars de Bretagne à vélo. Arrivé au Maroc, je traverse l'océan Atlantique en voilier-stop. Je passe ensuite un an et demi en Amérique du sud. Puis d'avril 2012 à septembre 2013, je traverse l'océan Pacifique en voilier. Enfin, en mars 2014, je reprends le vélo pour rentrer en France depuis Bangkok, en suivant la route de la soie à travers la Chine et l'Asie Centrale...

lundi 6 octobre 2014

Petit tour en la Perse d'hier avec des mots d'aujourd'hui (2)


Susana à gauche, Jacques à droite et mollah Pascal au centre,
notre amie tentant d'adapter la réglementation vestimentaire féminine à son propre style

Le 23 septembre, en ce premier jour d'automne, Pascal et moi arrivons à Téhéran. Nous y retrouvons Susana, une cycliste espagnole avec qui nous avons passé trois semaines à Bishkek. Nous décidons de partir tous les trois, faire un petit tour d'Iran en bus, en laissant nos vélos dans la capitale. C'est une longue remontée dans le temps : architecture de l’époque des Safavides à Ispahan, l'antique Persépolis de l'Empire Perse des Achéménides près de Shiraz, ziggourat mésopotamienne de Choqa Zambil près de Sush (où il fait plus de 40 degrés à l'ombre ! ), puis la ville kurde de Kermansha à seulement 200 kilomètres à vol d'oiseau de Bagdad. Dans cet article, je ne m'étendrais pas sur les incomparables splendeurs patrimoniales de l'Iran, qui incontestablement valent le coût, à elles seules, de faire le voyage sur place. Je vais plutôt tenter d'exprimer certains aspects que j'ai perçu de la société iranienne, même s'il est vraiment difficile, en peu de mots, de faire un portrait objectif d'un pays aussi riche, varié et complexe.




Dans toutes les institutions et sur de nombreuses pancartes publiques apparaissent les photos de l'Imam Khomeini, qui a conduit la révolution de 1979, et de l'Imam Khamenei, qui lui a succédé en 1989, devenant le nouveau leader à vie du Chiisme. Le peuple a porté au pouvoir ces hommes qui ont imposé  la Sharia au pays. Mais aujourd'hui une grande majorité des gens voudrait en finir avec cette dictature religieuse. Pourtant, jusqu'à présent la situation est bloquée. La police secrète du régime arrive à maintenir la pression sur la population. La dernière tentative de révolte de 2009 s'est soldée par des centaines de manifestants tués et plus de deux mille emprisonnements ! La propagande anti-américaine se poursuit. Quant aux responsables politiques et à l'oligarchie en place, ils continuent à s'en mettre impunément plein les poches. Par ailleurs, le blocus occidental n'arrange pas vraiment les choses, en isolant le marché iranien de la scène internationale.


En arrivant en Iran, par la religieuse région de Mashhad, la première chose qui m'a choqué est de voir un si grand nombre de femmes voilées en noir de la tête aux pieds. Elles apparaissent comme des ombres dans le paysage et, sur les photos, elles fıgurent comme des silhouettes ayant été découpées aux ciseaux. On a l'impression de pénétrer dans un monde amputé de la moitié de sa population. Après quelques temps dans le pays, je me suis rendu compte qu'en réalité, dans l'ensemble du pays, seule une minorité de femmes porte un voile noir intégral et que c'est un choix personnel lié à leur convictions religieuses. La plupart des femmes se contentent de porter un hijab sensé cacher leur chevelure. Une majorité d'entre elles ne le fait que par l'obligation juridique qu'elles en ont, quand elles sont à l'extérieur ou bien en présence d'autres hommes que leurs époux. De plus en plus, chez les jeunes citadines, par effet de mode ou par militantisme discret, le voile a fortement tendance à se réduire, jusqu'à n'être parfois qu'un petit morceau d'étoffe retenu par un chignon établi bien en arrière de la tête, pour laisser le devant de leurs cheveux apparent. Un jeu qui peut leur coûter cher, car partout la police religieuse veille. Dès les premiers jours j'ai pu en faire le constat moi-même. Alors que j’écrivais un mail dans un cyber-café, un gars s'est assis à coté de moi, m'a pris le clavier des mains et a mis en route un logiciel de traduction pour pouvoir lire ce que j'écrivais ! Devant mon étonnement sur ses manières, il m'a simplement dit : je suis " responsable de l'informatique " !


Voyager avec Susana nous permet, à Pascal et à moi, d'avoir un autre regard sur ce pays partagé entre le monde des hommes et celui des femmes. D'autant qu'avant de nous rejoindre, Susana a passé deux semaines en couch-surfing chez différentes iraniennes. A propos du voile, elle nous dit que la plupart de ses amies le subissent et qu'avant de sortir dehors, elles tournent ça en dérision en disant : " Il ne faut pas oublier de mettre l'uniforme ! " Par ailleurs, comme il n'y a pas de restrictions concernant la chirurgie esthétique, les iraniennes se précipitent toutes pour se faire refaire le nez et se pavanent ensuite dans la rue avec un beau pansement. On en croise chaque jour des dizaines : une catastrophe nationale pour qui aime les nez aquilins ! Enfin, au bout de quelques semaines, on se familiarise avec la tenue vestimentaire des femmes, mais surtout on s’aperçoit  que le port obligatoire du voile n'est que la partie émergée de l'iceberg. Bien que très symbolique, ce n'est pas le problème principal. Ce que souhaitent surtout les Iraniennes aujourd'hui, c'est simplement avoir les mêmes droits juridiques que les hommes et pour l'instant l'écart est colossal.

Etre égaux quoi, comme en Occident, n'est-ce pas Pascal ?
Salon de thé à Kermansha. Ca, pour fumer le narguilé, y a du monde !
Patisserie à Kermansha. Attention : hautement addictif !

En voyageant en Iran, nous sommes comme un bureau de doléance ambulant. Il n'est pas un jour qui passe, sans que quelqu'un vienne nous trouver pour se plaindre du régime. Le frère d'untel a fait trois mois de prison parce qu'il a parlé, seul à seul, assis sur un banc dans un parc, avec sa future fiancée ! Il s'est marié avec elle et ils ont fui en Australie, concrétisant ainsi le rêve de nombreux jeunes iraniens, qui idéalisent ce pays lointain. Un autre a fait de la prison pour avoir pris des photos lors d'une manifestation. La sœur de celui-là parce qu'elle ne portait pas une tenue adéquate, etc, etc... Je ne ferai pas le compte de toutes les histoires qu'on nous a rapporté.

Place Naghsh-e Jahan à Ispahan (XVIIeme siècle)
Mosquée Masjed-e Jameh à Ispahan
 Place Naghsh-e Jahan à Ispahan

Souvent aussi nos interlocuteurs ont peur que nous assimilions l'Islam à l'extrémisme religieux ou même au terrorisme. La barbe de mon ami Pascal a ses admirateurs et ses détracteurs. Avec sa tenue de cycliste, beaucoup de gens adorent et le prennent en photo. Son look à la ZZ-Top semble tourner en dérision celui des religieux barbus. Mais dans les petites villes de province, certaines personnes assimilent sa barbe à un fondamentalisme qu'ils réprouvent. On le traite de Daesh et on lui recommande d'aller chez le barbier. Dans la région kurde de Kermansha, plusieurs fois on lui a dit que la barbe c'était pour les arabes, en faisant signe de la main : qu'on leur coupe la tête ! En effet beaucoup d'Iraniens ont des préjugés contre les " arabes " qu'ils considèrent comme étant la source de tous leurs problèmes politico-religieux.

Mosquée Masjed-e Shah à Ispahan (XVIIeme siecle)
Mosquée Masjed-e Shah à Ispahan
Hammam Ali Gholi Agha à Ispahan

Alors concrètement, dans la vie de tous les jours, les gens font avec le régime en place... en se cachant. En Iran, on peut facilement trouver de tout, même de l'alcool et des stupéfiants, à l’arrière de certaines boutiques, alors que leur consommation est strictement interdite. Quant aux relations adultères, elles sont aussi courantes qu'ailleurs dans le monde. Bien qu'ici, pour cela, on risque la peine de mort par lapidation. Amnesty International a dénombré au moins 6 exécutions pour adultère depuis 2006, mais théoriquement le mode d'exécution par lapidation a été supprimé en 2012 ! Les gens vivent donc dans le secret permanent. Et dans leurs comportements, il y a le montré et le caché, ce qui se passe à l'extérieur, dans la rue, et ce qui arrive à l'intérieur des maisons, le visible et l'invisible. Cette pudeur culturelle, si élégante quand elle s'exprime en architecture, induit malheureusement beaucoup de duplicité et de mensonges dans la vie quotidienne.

Mosquée Masjed-e Jameh à Ispahan

En fait, la société iranienne est très variée, tant du point de vu ethnique (Perses, Turkmènes, Kurdes et autres minorités) que du point de vue du niveau culturel et social. Il n'y a pas de portrait uniforme des Iraniens. Susana, Pascal et moi, trois amis de sexes différents partageant la même chambre d'hôtel, cela a pu prêter à questions de la part de certains. Ainsi quelqu'un est venu me demander comment Susana s'y prenait-elle se changer de vêtements en notre présence. Une autre fois, un hôtelier est entré une dizaine de fois sans frapper dans notre chambre pour des prétextes toujours plus futiles, jusqu'à nous laisser aucun doute qu'il espérait secrètement surprendre quelque chose sur la vie des aliens que nous sommes. Par ailleurs, j'ai été très surpris de rencontrer, dans une théocratie, autant de gens qui se disent non pratiquants, voir non croyants. Nous avons aussi écouté des philosophes qui connaissaient par cœur les poèmes d'Hafez faisant l'éloge du vin et nous avons croisé des athées militants n'hésitant pas à insulter les imams ! Nous avons également fait la connaissance de personnes d'une grande piété, mais une fois, l'un d'entre eux, nous a dit que le seul pays étranger où il soit allé était la Thaïlande, à Pattaya en fait (difficile de faire plus glauque...), et que cela avait été génial pour pouvoir y rencontrer des fılles !? A l'inverse, à Téhéran, j'ai rencontré des couples de jeunes, non mariés, certains artistes, d'autres faisant des sports de montagne, qui ressemblaient complètement à mes amis de France. Et dans certains quartiers bourgeois de la capitale, on a l'impression d’être dans n'importe quelle capitale occidentale. Avant 1979, l'Europe, et la France en particulier, a grandement influencé l'Iran. A cette époque, la langue iranienne a adopté de nombreux mots français, on pourrait même dire qu'elle en est farci ! (désolé, je n'ai pu résister à ce calembour)

Entrée de Persépolis (Veme siècle avant JC), près de Shiraz
Tombeau à Persépolis
Bas-reliefs à Persépolis
Ziggourat mésopotamienne de Choqa Zambil (vers 3000 ans avant JC), près de Shush

D'une manière générale, il y a beaucoup de gens cultivés et très polis, avec quelque chose de très raffiné dans leurs manières de se comporter, ce qui les rend très attachants. Un jour, Susana était en voiture avec l'une de ses couch-surfeuses. Elles se font doubler par une luxueuse berline, d'où est jetée une bouteille en plastique par la fenêtre. L'amie de Susana, rattrapant la voiture au feu suivant, baissa sa vitre et dit simplement à la conductrice : " Madame, vous n'avez qu'une très belle voiture. " et elle remonta sa vitre. Se retournant vers Susana, elle lui traduit et ajouta : " Cette femme a très bien compris ce que je lui ai dit : elle a beau être riche, elle n'a aucune éducation. "

Marchand de tapis à Ispahan

Au dela des problèmes économiques, ce que souhaite aujourd'hui la majorité des Iraniens, c'est de pouvoir être libre de dire et de vivre comme ils le souhaitent. Et, pour les jeunes en particulier, la principale revendication est de pouvoir avoir des relations normales avec le sexe opposé, ne serait-ce que de l'amitié. Heureusement ces dix dernières années les lois religieuses s'appliquent de moins en moins fermement. Les autorités sont obligées de relâcher un peu la pression sur une population prête à se révolter. L'arrivée des nouvelles technologies de communication permet aussi aux gens de se rencontrer autrement et ouvre l'Iran sur ce qui se passe dans le reste du monde. Dès lors, à défaut d'arriver à faire évoluer la situation politique dans leur propre pays, beaucoup de jeunes iraniens rêvent d'exil dans l'un des pays occidentaux qu'ils se figurent comme un Eden inaccessible. Dès que nous restons cinq minutes sur une place ou dans un jardin public, des jeunes anglophones se présentent à nous. En rencontrant des voyageurs, c'est pour eux comme un souffle de liberté et d'espérance, un soutien tacite à leur cause. La phrase qui revient souvent est : " Merci de venir voyager dans notre pays ! " Pour toutes ces raisons, l'Iran est vraiment une destination fascinante, tant pour sa culture que pour ses habitants. Hommes ou femmes, je vous recommande vivement d'y aller avant que le régime ne finisse par tomber.

Bazar de Tabriz un jour de fermeture...

Merci encore à Pascal Lachance pour la plupart des photos de cet article.

mercredi 24 septembre 2014

Arrivée en Iran : du nord Khorasan à Téhéran en passant par la mer Caspienne (1)

Ce n'est pas facile de tenir régulierement à jour ce blog. Mais voici un succinct résumé illustré de mes premières semaines passées en Iran, en trois parties traitant de différents aspects de la société iranienne. Il y aurait tant de choses à dire sur ce pays fascinant... Une fois encore, la plupart des photos de cet article sont de Pascal Lachance.

Mais premièrement, dans ce pays aride, les pauses réhydratation sont fréquentes !
Ci-dessous : traversée de la chaîne d'Elbourz, séparant Téhéran de la Caspienne,
passant au pied du plus haut sommet iranien, le  Mont Damavand ( 5670 m)

Pascal et moi franchissons la frontiere turkmèno-iranienne le 11 septembre. L'Iran est certainement l'un de mes pays préférés (avec la Chine) de cette longue route de la soie. Pourquoi ? Pour une chaleur humaine propre aux Iraniens. Et pourtant la première nuit n'a pas été la meilleure car je me suis fait voler les deux sacoches arrières de mon vélo. Heureusement, je n'avais rien de valeur à l’intérieur, à l'exception de mes deux derniers carnets de route et une clef USB avec les photos d'une partie de mon voyage, ce qui est pour moi une perte bien affligeante. Surpris par la nuit, nous avons planté nos tentes dans le pire endroit qui soit, un champs servant à moitié de décharge publique, juste à la sortie de Quchan. Nous avons ri en nous disant : " Ah si nos potes voyaient où nous passons nos nuits, ils diraient qu'on est de grands malades ! Mais ils ne savent pas qu'en Iran, on ne risque rien nulle part ! " Comme quoi, cela peut arriver n'importe où ! Même si nous avons appris par la suite que cette région du nord Khorasan est particulièrement mal famée. Mais malgré cette première mauvaise expérience et après presque deux mois passés en Iran, je vous le confırme : ce pays est vraiment l'un des plus safe au monde et les Iraniens sont les êtres les plus hospitaliers de toute la planète.


Comme par enchantement, le lendemain, au bord de la route, nous rencontrons un être d'exception : Guy Blanc. C'est un marcheur, un vrai de vrai. Ce Français est parti de Toulon il y a 7 mois et il a parcouru 7000 kilomètres à pied pour arriver jusqu'ici ! Et si je vous dis son age, vous ne me croirez pas : 75 ans ! Cette rencontre efface à l'instant tous mes soucis de la veille, redonnant du sens à mon propre chemin : c'est aussi pour rencontrer des gens comme ça que je voyage, ces sortes d'anges, qui sont comme des agnus dei pour le monde. Plus tard en Arménie, je rencontrerai également un autre marcheur fou, un Allemand parti il y a deux ans de chez lui, en route vers l'Inde ! Il est en sandales dans la neige alors que moi, je me gèle. Je le quitterai réchauffé.

Alireza et son père nous recevant chez eux comme des rois
Approvisionnement en eau et en pain

Pascal et moi filons plein ouest en direction de la Mer Caspienne. Après l'Asie Centrale, la circulation intense est un peu pénible mais les routes ont de beaux bas côtés et les automobilistes sont civilisés. Au fil des jours nous constatons ce que le mot accueillir signifie en langue farsi. Sur la route, à longueur de journée, tout le monde nous salue ou nous lance des : " Welcome in Iran ! " ou bien des " I love you ! " Parfois une automobile nous dépasse, freine et le conducteur entame la conversation, avant de nous tendre, tout en conduisant, quelque chose à boire ou à manger par la fenêtre de son véhicule ! Certains commerçants refusent même que nous les payons. La taarof est une forme de politesse iranienne qui veut qu'on commence par dire à un acheteur qu'on ne veut pas être payer mais, même lorsque nous insistons trois fois de suite, certains vendeurs nous disent que c'est cadeau, que c'est de leur devoir que d'offrir aux étrangers ! Et parfois, en fin d'après midi, il arrive que nous soyons littéralement kidnappés ! Un inconnu s'approche et nous dis : " Suivez moi, cette nuit vous dormez chez moi ! " et toute sa famille se met en quatre pour nous offrir tout ce qu'elle a, cherchant à satisfaire tous nos désirs. C'en est parfois presque gênant. Un jour chez quelqu'un à qui je demandais où je pouvais me laver, mon hôte est parti en ville acheter une nouvelle douche qu'il s'est empressé de monter ! Sans conteste, les Iraniens remportent la palme d'or de mon voyage, en ce qui concerne l'hospitalité (juste devant les Ouzbeks et les Marquisiens). Après cela,  la signification du mot accueillir en français risque d'être difficile à appréhender...

Mini-conférence sur notre voyage dans une école d'anglais et nuit dans une des salles de classe

Un jour, du bord de la route, un vendeur de noix m'interpelle en Français, ce qui est plutôt rare. Surpris, je m'arrête. Il me dit : " J'étais sûr que tu étais Français, alors je voulais te parler, car je n'ai pas beaucoup l'occasion de pouvoir pratiquer cette langue. " Et il m'offre des noix en me disant qu'il adore la France, qu'il s'appelle Mehdi et qu'il est Afghan. Je lui demande comment il a fait pour parler aussi bien ma langue et il me raconte son histoire. Fuyant la guerre, il est passé clandestinement en France et il est resté cinq ans à Paris, en vivant dans la rue. " Même si j'adore la France, je te jure mon frère, cela a été trop dur cette vie " me dit-il. Alors il est revenu en Afghanistan, mais comme c'était toujours la guerre, il est repassé clandestinement en Iran, comme énormément de ses compatriotes, et aujourd'hui il tente de survivre en vendant des noix sur le bord de la route. Je lui demande quel quartier de Paris il connait. Il me répond qu'il dormait dans le petit parc près de la Gare de l'Est. Troublé, je réponds : " C'est juste en dessous des fenêtres de l'appartement que j'occupais alors ! " Il rit et me dit : " Oui, c'est pour ça je t'ai reconnu sur ton vélo ! " Je pense que je n'ai rien fait pour lui quand il était en détresse dans mon pays, sous mes propres fenêtres, qu'aujourd'hui, chaque jour, dans son pays, des gens m'accueillent les bras grands ouverts avec un grand sourire. Et maintenant je le quitte avec dans la poche les noix qu'il vient de me donner...

Nous goûtons aux spécialités locales...
dont le sempiternel plat de brochettes accompagné de son thé
( NB : seul le tatouage n'est pas iranien mais d’inspiration tibétaine )

La plupart du temps, nous dormons sous la tente. L'Iran est LE pays du camping. Tout le monde campe, partout, pour pic-niquer une après-midi, pour passer un weekend, ou sur le bord de la route lors de longs voyages, car les hôtels sont chers pour le niveau de vie du pays. Il est même autorisé, voir vivement recommandé, de poser sa tente au beau milieu des jardins publics des villes, toujours très propres, avec des sanitaires à disposition ! La notion de protection de l'environnement étant inexistante en Iran et les petits bois dédiés au camping n'étant pas nettoyés, ce sont malheureusement de vrais dépotoirs.



Bien que nous soyons heureux d'arriver au bord de la mer, les rivages de la Caspienne nous déçoivent un peu. L'Iran n'a vraiment pas une culture de la plage. On va à la mer pour pic-niquer, éventuellement se mouiller jusqu'au genou, mais c'est tout. Par ailleurs tout le littoral a été privatisé et souvent un long mur enferme la mer. En tant qu'étranger nous sommes évidement invités sur toutes les plages mais, alors que nous nageons à dix mètres du rivage, nous sommes vite rappelé à l'ordre par le coup de sifflet d'un life guard : " Non, non, revenez immédiatement, vous êtes complètement fous, interdiction formelle d'aller dans plus d'un mètre d'eau de profondeur ! " Quand aux femmes, elles se baignent comme elles peuvent, toutes habillées, dans une partie de la plage qui leur est réservée, close par des tentures, pour les soustraire totalement aux regards des hommes. Bref, c'est pas vraiment Rio de Janeiro ! Nous ne nous attardons pas. Quittant la mer Caspienne, nous devons encore franchir la chaîne d'Elbourz, pour rejoindre Téhéran. En chemin nous passons deux nuits au pied du Mont Damavand, le plus haut sommet d'Iran, culminant ) 5600 mètres d'altitude. Nous traversons aussi les pires tunnels de notre route, ces derniers n'étant pas ventilés.



Nous mettons quasiment une journée entière pour atteindre le centre de la tentaculaire capitale iranienne, affrontant un trafic de plus en plus intense à mesure qu'on se rapproche de son cœur battant : le Grand Bazar. Dans ce labyrinthe infini, ce fourmillement intense et souple, ses couleurs chatoyantes et ses odeurs profondes, vibre toute la sensualité du pays. J'aime les bazars bien que j'en ressorte à chaque fois épuisé, mais je dois admettre solennellement que je n'ai pas l'endurance de mes compagnons de voyage, Susana et Pascal,  qui peuvent y passer des journées entières !



mardi 2 septembre 2014

Accueillant Ouzbekistan et flippant Turkménistan

Après une dernière traversée des Tian Shan (deux cols à 3590 et 3200 mètres d'altitude), le 14 août, Pascal et moi arrivons en Ouzbékistan par la vallée du Fergana. Peu d'étrangers se rendent dans cette région et nous ne croisons plus aucun voyageur à vélo. La chaleur de l'accueil est difficilement descriptible. Tous les passants nous saluent, les automobilistes nous interpellent et, lorsque nous nous arrêtons cinq minutes, l’attroupement se transforme parfois en véritable émeute. Le temps que j'aille au bazar changer un billet de 100 dollars contre une liasse de 300 billets de 1000 soums (la plus grosse coupure du pays, qui correspond  à 25 centimes d'euros ), je retrouve Pascal au milieu d'une foule d'une centaine de personnes. Cela nous vaut une interpellation policière pour trouble à l'ordre public !

Les photos de cet article sont presque toutes de Pascal Lachance
Dernière descente et arrêt de trois minutes à un carrefour...

Nous quittons la vallée du Fergana en franchissant un dernier petit col à 2360 mètres, laissant derrière nous les difficiles pentes montagneuses pour nous attaquer à la chaleur caniculaire des steppes et des déserts... Arrivés à Tachkent, la capitale du pays, nous faisons nos demandes de visas pour traverser le Turkménistan. Ce dernier sésame s’avère plus simple à obtenir que les précédents. Après seulement deux jours de démarches, nous pouvons repartir le cœur léger de nous savoir enfin définitivement sortis de toutes ces fastidieuses démarches administratives jusqu'à  la fin de nos voyages respectifs.

Le Nième melon de la journée que l'on nous offre !

De Tachkent à Samarcande, nous empruntons de petites routes traversant des zones semi-désertiques, qu'une irrigation intensive transforme par endroit en îlots de verdure, principalement dédiés à la monoculture du coton. Le terrain est plat mais les températures sont de plus en plus élevées : jusqu'à 42° C à l'ombre et 52° C à l'aplomb du soleil sous lequel nous roulons. Tout au long de la route, toutes les personnes que nous croisons, à pied comme en voiture, nous encouragent, nous demandant d'où nous venons : " Adgouda ?". Et tout au long de la journée, on nous offre à boire et à manger, le soir on nous propose de nous héberger. Comme dit Pascal avec son accent québécois inimitable : " Caliste de tabernacle, ça pas d'bon sens comme c'est intense ! "... voir fatigant, car les questions, auxquelles nous devons répondre une centaine de fois par jour, sont toujours exactement les mêmes, au point que, las, parfois nous nous mettons à répondre n'importe quoi pour voir la différence de réaction de nos interlocuteurs. Mais une chose est sûre, l’Ouzbékistan fait partie du Top 3 des pays les plus accueillants de mon voyage.

Campement champêtre et arrivée à Samarcande

Le 25 août, nous arrivons finalement à Samarcande, ville mythique de la route de la Soie. A mi-chemin entre Xian et Istambul, elle marque aussi la moitié de mon chemin entre Bangkok et Paris. Malheureusement la ville photographiée par Ella Maillard a disparu. Les ruines des medersas et des mausolées timurides ont été reconstruites " à l'identique ", avant que les derniers travaux " d'embellissements " ne finissent d’aseptiser la vieille ville, qui prend aujourd'hui des allures de musée dedié à la consommation touristique. Les bâtiments de l’époque de Tamerlan et de son petit-fils Ulug Beg sont, bien sûr, splendides, mais leurs âmes se sont à jamais envolées.





Pascal et moi poursuivons ensuite notre route en direction du sud-ouest. En chemin, des fermiers nous hébergent. On nous invite à une cérémonie de mariage. Le troisième jour, nous traversons la partie sud-orientale du désert Kyzylkoum, le fameux désert des sables rouges. Les températures sont caniculaires mais un fort vent de dos nous pousse à 40 km/heure.



Et dans le désert nous avons été attaqués par la bestiole ci-dessous (environ 9 centimètres). Et elle nous a carrément poursuivie avec ses crocs vénimeux en avant ! Par la suite nous avons appris c'était une inoffensive solifuge qui recherchait simplement nos ombres portées.



Le 1er septembre, nous arrivons à Boukhara, cité d'Avicenne, au carrefour de la route de la soie. Bien que touristique, le centre ville, propret, a été relativement bien restauré. A la différence de Samarcande, les antiques ruelles ont été préservées, ce qui prête mieux à imaginer l'age d'or de cette ville, quand des marchandises de toutes sortes passaient d'une caravane de chameau à une autre. Parcourir la route de la soıe à vélo est le meilleur moyen de la découvrir. En confrontation directe avec sa géographie variée, nous évaluons chaque jour davantage l'épreuve que devait être, il y a plus de mille ans, le voyage périlleux sur cette route commerciale mythique reliant l'Orient à l'Occident.

Ci-dessus la mosquée et le minaret Kalon.
Ci-dessous le magnifique petit mausolée d'Ismael Samani,
construit avec un seul model identique de brique non découpées.
Mais le plus beau. sur cette route, ce sont les gens...
A dos d'âne ou cueillant le coton, tous nous saluent.
Et nous ouvrent les portes de leurs maisons.

Pour le Turkménistan, nous n'avons qu'un visa de transit de 5 jours. Cela est juste assez pour traverser ce pays désertique du nord au sud en pédalant comme des malades. Mais Pascal et moi avons envie d'avoir un peu le temps de voir autre chose que le sable de ce beau pays. C'est ainsi que nous décidons de prendre le train. En chemin nous nous arrêtons visiter le site archéologique de Merve, une ancienne étape incontournable de la route de la soie, entièrement rasée de la carte par Gengis Khan. Puis nous nous rendons dans la capitale : Achgabat, une ville bien plus belle que Paris nous avait-on averti a l'Ambassade ! En effet, difficile de décrire en peu de mots ce lieu surnaturel. Tous ses bâtiments sont exclusivement revêtus de marbre blanc, devant lesquels posent triomphalement des statues en or de l'ancien dictateur, celui-la même qui interdisait que l'on fume dehors mais pas dedans  (!) ou bien qu'on écoute de la musique dans sa voiture (???). Au beau milieu du désert, les nombreux espaces verts d'Achgabat sont outrageusement agrémentés d'un nombre incalculable de fontaines. Et ses grandes avenues sont en permanence lavées par des centaines de balayeurs, à tel point que même le bitume brille ! Elles sont parcourues par quelques voitures, blanches pour la plupart et toutes voitures revêtues d'un petit peu de poussière à la sortie du désert reçoit illico une amende. Tout ça et pourtant, dans les rues, il n'y a absolument personne... à part un policier positionné tous les trente mètres, sifflet dans une main et talkie-walky dans l'autre, prêt à bondir sur le moindre contrevenant. Mais il n'a pas grand chose à faire, vu que les rues sont vides. Achgabat : entre Pyongyang et Las-Vegas un jour de fermeture, on se croirait dans un décor de théâtre avant la levée du rideau, ou bien encore dans la série télévisée des années soixante, Le Prisonnier et on a juste envie de crier : " Non, je ne ne suis pas un numéro, je suis un homme ! "

Je n'ai pas de photos d'Achgabat car c'est interdit d'en prendre,
alors je finirai cet article par des images plus douces d'Ouzbékistan :