Description

Mais aussi avec bien d'autres moyens de transport parfois des plus surprenants... Le 1er juillet 2010, je pars de Bretagne à vélo. Arrivé au Maroc, je traverse l'océan Atlantique en voilier-stop. Je passe ensuite un an et demi en Amérique du sud. Puis d'avril 2012 à septembre 2013, je traverse l'océan Pacifique en voilier. Enfin, en mars 2014, je reprends le vélo pour rentrer en France depuis Bangkok, en suivant la route de la soie à travers la Chine et l'Asie Centrale...

vendredi 6 mai 2011

Traversée des Pampas



Les photos de cet article concernent uniquement la route entre San-Luis et Mendoza car, suite à une mauvaise manip' informatique, j'ai perdu toutes les autres. Décidément je ne suis vraiment pas doué dans ce domaine ! Pour le reste vous n'aurez que des mots pour vous faire une idée. Cet article a également failli disparaître du blog ! Heureusement Pascal-parapente, mon super webmaster parisien est arrivé à me le récupérer de justesse. C'est à lui aussi que vous devez la nouvelle mise en page. Je remercie aussi mon ami Stanko qui relit avec attention mes messages et corrige les coquilles, car c'est pas toujours évident sur mon chemin de trouver des ordinateurs de qualité.


Avant de quitter Buenos-Aires, je ne peux m'empêcher de faire un dernier tour (de 20 kilomètres ! ) dans la capitale pour dire au revoir à ma ville de naissance. Je repasse par les avenues 25-de-Mayo, 9-de-Julio, Cordoba et, sur les bords du Rio de la Plata, je regarde encore une fois ces eaux qui plongent dans l'Atlantique. Je ne reverrai pas cet océan, avec lequel j'ai vécu presque un an, avant mon retour en Bretagne, dans un futur que je ne saurais déterminer. Quand je quitte finalement le Centro, il est déjà midi. Comme à chaque nouveau départ, à peine suis-je remonté sur mon vélo, qu'un grand sentiment de liberté m'envahit. Le soleil automnal est radieux et les feuillages des arbres commencent à rougir. La température, d'une vingtaine de degrés, est idéale pour rouler. Mais à 18h30, la nuit tombe déjà. J'ai fait 85 kilomètres et je suis encore dans la banlieue de cette ville tentaculaire ! Ce soir, le coin est un peu sordide et ce n'est pas évident de trouver un endroit où crècher. Le lendemain, après la ville de Lujan et quelques contours de "plats de spaguettis" autoroutiers, je trouve enfin le début de la mythique Route Nationale 7, qui traverse l'Argentine d'Est en Ouest. En quittant l'urbanisation, je me crois sauvé, mais les jours suivants ne sont pas faciles. J'ai des courbatures et des rougeurs aux fesses, comme si je n'avais jamais fait de vélo. La vie de cycliste, quoi ! Et ma belle route est, en fait, une pauvre nationale, très étroite, sans bandes d'arrêt d'urgence où avancer sereinement. Surtout elle est extrèmement fréquentée, en particulier par des poids lourds ! Dur.

Sur cette route, le seul endroit où je peux me positioner pour éviter de géner les automobilistes, c'est le petit reliquat de bitume, large d'une dizaine de centimètres, situé entre la bande blanche, délimitant la chaussée, et l'herbe. Pour me rendre ce lieu intermédiaire plus avenant, je l'appelle mon "estran" et je m'imagine être un acrobate devant rouler au sommet d'un mur de brique. Sur mille kilomètres, avec 110 kilos à mouvoir, c'est du sport ! Cela demande pas mal d'équilibre et de concentration. J'ai parfois l'impression de dépenser autant de force dans les bras que dans les jambes. Ensuite, une fois sur ce cap, les voitures peuvent me doubler sans problème, mais pas les camions, trop larges, quand un véhicule arrive en face. A partir de là, tout se joue avec un oeil rivé dans le rétroviseur. Le jeu consiste à sauter dans l'herbe dès qu'on voit un camion dans le rétro avec un autre véhicule qui arrive en face, c'est à dire en moyenne, toutes les dix minutes. Et il faut alors se jeter dans l'herbe avec une certaine dextérité. En affrontant, à vive allure, un nouveau terrain incertain, les sacoches ont toujours le risque de se décrocher. Bref, c'est un peu comme jouer à la Play-Station sauf que je n'ai qu'une vie ! Pour compliquer les choses les jours suivants, le temps se met à changer. D'abord il fait plus frais, puis carrément froid. Je sors la polaire et le bonnet. Puis deux jours de pluies battantes viennent me rafraîchir définitivement les idées : oui, dans cet hémisphère, l'équivalent du mois de mai, c'est bien novembre ! Qu'importe : " No soy de azucar ! " J'accepte mon sort avec fatalisme, en essayant de trouver une beauté dans chaque chose : " S'il pleut, ce sera bon pour l'agriculture ! " Quand la pluie s'arrête, l'herbe du bas côté s'est, évidement, transformée en boue et c'est une autre affaire : il faut éviter les glissades. Puis c'est le vent qui se met à souffler, et fort, diminuant ma vitesse journalière de moitié, pour deux fois plus d'efforts. J'apprends alors à surfer les turbulences aérologiques que laissent les camions sur leurs passages et le vélo me semble un vrai sport de glisse ! Pour garder l'esprit en alerte, je m'impose un arrêt toutes les heures et je fais de petites étapes de 74 kilomètres par jour en moyenne. Pour que la route me semble moins longue, je la divise. Si un jour, j'ai 90 kilomètres à faire, je n'en ai que 45 pour arriver à la pause de midi. Je me dis alors que cela ne fait que trois petites étapes de 15 kilomètres. Une autre fois, je compte en aller-retour à Fouesnant depuis la maison de ma mère, 12 kilomètres. Pour 24 kilomètres, je me dis : " Quel étourdi, j'ai oublié le pain ! " Ainsi je ne conçois l'effort que dans l'instant présent. Le soir, je m'offre souvent une bonne grillade pour reprendre des forces et pour varier des milanesas et des enpanadas. Habituellement je suis peu carnivore mais ici, en Argentine, c'est vrai qu'il y a la meilleure viande du monde. A Rufino, pour échapper au trafic de la nationale, j'hésite à obliquer ma trajectoire vers le sud, par des petites routes et des pistes, en direction de San-Rafaël. Mais l'hivers arrivant et le temps incertain me font craindre de me retrouver un jour embourbé au milieu de nulle part et je renonce finalement à cette idée.


Heureusement, au fur à mesure des jours, le temps redevient plus clément : La route, elle, reste toujours autant fréquentée mais je prends mes habitudes. Comme n'importe quel travailleur, je me lève pour faire mes heures de labeur quotidien. Chaque matin, je reprends ma bonne vieille Rota 7, qui traverse le monotone paysage de la Pampa, sempiternellement plat. Cette campagne ressemble grandement à la Beauce, mais à une échelle décuplée. L'étendue infinie de ce paysage dégage une certaine poésie chargée de nostalgie. Je compte les chiens errants écrasés, à moitié bouffés par leurs congénères survivants, à peu près un tous les cinq kilomètres, et les bouteilles d'urine jetées par les camionneurs, cinq fois plus nombreuses que les chiens. Et je me fais peu à peu à la beauté particulière de cette région, à ces odeurs, parfois de putréfaction : " Tiens ! Je sens que je vais bientôt voir un chien écrasé ! " A l'image du paysage, les petites villes que je traverse semblent également toutes similaires. Elles suivent un même plan, en cuadras de 100 mètres de côté, aucunement altéré par la géographie. Elles se fondent autour d'une place centrale où sont réunies les édifices institutionels et les rues portent toujours les mêmes noms : 25-de-Mayo, 9-de-Julio, San-Martin, Rivadavia, Yriguyen... Ici, contrairement à Buenos-Aires, il est impossible de se perdre. On se repère tout de suite et cela accélère les sentiments d'appartenance et d'apropriation de ces espaces. Toutes ces villes sont vivantes le matin, désertées dans l'après midi et très animées entre 18h00 et 21h00. Pourtant, malgré cet urbanisme très modèlisé et cette temporalité codifiée, chacune de ces villes a son identité propre. Les ambiances qui s'en dégagent sont à chaque fois différentes, le seul point commun étant la cordialité naturelle des Argentins. Sur la route, je commence aussi à apprécier l'apparente monotonie de ce parcours. Je me familiarise avec les camionneurs, comme on finit par se lier avec ses camarades de cellules. Finalement, ce ne sont pas de mauvais bougres. La grande majorité font preuve d'un grand professionnalisme. Généralement, ils conduisent plutôt bien et me font souvent des signes d'encouragement. Ce ne sont pas les seuls, du reste. Comme toujours en voyageant à vélo, je fais plein de rencontres insolites. Partout des gens me félicitent ou bien viennent à mon secours, qui d'une vis, d'un boulon, qui d'un coup de Kärcher pour laver mon vélo après la boue. Ainsi, j'ai le plaisir d'observer si je progresse un petit peu plus en Espagnol, bien qu'on me demande souvent si je ne suis pas Brésilien ! J'essaie de faire chaque jour une leçon de mon livre " Pratique de base de l'Espagnol " mais ce n'est pas toujours évident car j'ai un emploi du temps chargé : subvenir à mes besoins primaires, pédaler, rencontrer, écrire...

Cette description, des difficultés quotidiènes que je rencontre, n'est pas pour trouver des oreilles plaintives ou des yeux admiratifs, c'est juste pour vous montrer, pour une fois, l'envers du décor des belles photos que vous voyez, d'habitude, sur ce blog !


Alors : " Pourquoi s'imposer tout cela ? " diront certains. Parce que c'est un kiff ! Deleuze dit que la joie est de remplir une puissance, en distingant bien que le pouvoir est le plus bas degré de la puissance. Et selon lui, la tristesse est de subir un pouvoir extérieur à soi-même. Je me reconnais dans cette définition. Je me sens véritablement heureux quand je voyage à vélo parce que je suis puissant et libre.

J'éprouve beaucoup de plaisir à me retrouver à nouveau seul, car la route me permet de penser. En vivant pleinement l'instant, j'ai le temps de me souvenir du passé, d'analyser le présent et d'imaginer l'avenir. Après 40 kilomètres de vélo, le cerveau, restreint en énergie, devient plus efficace. Il va a l'essentiel. A 60 kilomètres, le cerveau reptilien prend le dessus. Le sixième sens s'éveille. J'entends instinctivement ce qui est bon pour moi. Une voix me dis : " Arrête-toi là, discute avec ce type, ici passe ton chemin ". A 80 kilomètres, l'esprit se purifie. Le visage s'ouvre, un sourire radieux l'illumine. Quand je m'arrête les gens disent alors : " ¡ Que buenas ondas tienes ! " Et moi ça me fait encore plus rire de voir leurs têtes quand je leur raconte mon voyage. A 100 kilomètres, ça devient vraiment dur et on ne peut plus avancer uniquement pour soi-même. On se met a rouler pour les autres, pour ceux qui ne peuvent pas faire cela, pour les handicapés, pour les prisonniers. Je pense qu'en voyageant, on va autant vers les autres que vers soi-même. C'est le chemin intérieur qui permet de faire une place à l'altérité. La sédentarité appelle à la recherche du même, du semblable. On se regroupe par communauté. On habite un quartier où les voisins sont comme nous et on construit une maison à notre image. Dans un jardin public, on va s'asseoir à côté de celui qui nous ressemble. En étant nomade, on est seul, on va vers soi-même et on est ouvert à la différence. Qu'importe le milieu, la culture, la croyance. On est en besoin d'apprendre de l'altérité. Alors tous nomades ! Et au diable les architectes avec leurs maisons !


Providence, nécessité et paresse. Parfois, sur mon vélo, je me dis : " Bon, quand mon horloge marque telle heure, ou quand mon compteur kilométrique marque tel chiffre, je fais une pause ! " Curieusement, à chaque fois, j'arrive à l'endroit idéal vis à vis du besoin précis que j'avais à ce moment lâ. Il y a le petit chemin qui me permet de quitter la grande route pour me reposer, la rivière pour me laver, l'arbre qui m'apporte son ombre pour le déjeuner, le banc inespéré pour écrire. Et en plus, c'est toujours un lieu charmant. La providence ! ? En fait, tout au long de mon chemin, il y avait mille endroits magnifiques mais je ne les voyais pas. J'étais concentré sur ma route et ces lieux ne m'étaient pas nécessaires. En réalité, on trouve toujours ce qu'on cherche. Quand on ne trouve pas, c'est qu'on ne cherche pas vraiment. La sédentarité rend les gens paresseux et les coupe de leurs besoins fondamentaux. Beaucoup de personnes ne savent même plus ce qu'elles cherchent car elles ont perdu le principe de nécessité. Les gens ne se donnent pas la peine de réfléchir par eux-même. Ils attendent des réponses toutes faites, même quand ils posent une question. Ils s'inscrivent dans des modèles existants et se coupent des solutions qui seraient bonnes pour eux. Après ils se plaignent de ne pas être heureux. Evidemment, les choses nouvelles à découvrir, il faut se donner la peine de les chercher.

1 commentaire:

  1. Super post ! Un très beau poste. Et quel courage ! Après les plates Pampas, la muraille andine !
    Bons vents, on est avec toi !
    Stanko

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