Description

Mais aussi avec bien d'autres moyens de transport parfois des plus surprenants... Le 1er juillet 2010, je pars de Bretagne à vélo. Arrivé au Maroc, je traverse l'océan Atlantique en voilier-stop. Je passe ensuite un an et demi en Amérique du sud. Puis d'avril 2012 à septembre 2013, je traverse l'océan Pacifique en voilier. Enfin, en mars 2014, je reprends le vélo pour rentrer en France depuis Bangkok, en suivant la route de la soie à travers la Chine et l'Asie Centrale...

vendredi 5 août 2011

Ascension du Sajama : 6542 mètres !




Sajama signifie " le roi des monts " en Aymara. Culminant à 6542 mètres, ce volcan éteint est la plus haute montagne d'un des pays les plus hauts du monde. Au retour du Choro-Trek, Lena, Tomas et moi décidons de relever le défi : atteindre le sommet de cette montagne mythique. En Bolivie, il est plus facile qu'ailleurs de franchir la barre symbolique des 6000 mètres d'altitude. Les courses sont généralement moins techniques que dans l'Himalaya et le coût des expéditions dix fois moins élevé. Alors, quitte à échouer dans notre tentative, nous ne voulons pas rater l'occasion de vivre cette aventure. Ce serait mon premier 6000 mètres ! Après avoir hésité à nous attaquer aux pics de Huyana-Potosi ou Illimani, qui dominent la capitale bolivienne, notre choix se porte sur le Sajama, moins fréquenté et aussi le plus haut du pays. A La Paz, nous trouvons une agence spécialisée en andinisme, qui nous semble sérieuse et relativement bon marché. Elle nous fournit deux guides de haute montagne et tout le matériel nécessaire.






Lundi 1er août, nous prenons la route à travers la partie septentrionale de l'Altiplano. Après quatre heures d'un défilé de paysages des plus surprenants, nous arrivons au pied du géant andin. Nos guides, Lorenzo et Benancio, sont deux frères dans la trentaine. Ils sont Aymaras et nous communiquons avec eux en Espagnol. Ce sont deux forces de la nature, des machines à respirer, aux narines extra larges et aux cages thoraciques dilatées. Ils passent leur vie à grimper des montagnes. Le Sajama ? Pas de problème ! Un jour Lorenzo a même participé à une partie de foot organisée sur le sommet ! Pour porter le matériel de montagne jusqu'au campo-bajo, où nous devons dormir le soir même, nos guides ont prévus des ânes... pas très dociles, mais c'est toujours autant d'efforts d'économisés. Le paysage de cette première randonnée, parsemé d'étonnantes mousses vertes géantes et préhistoriques, est tout à fait surréaliste. Nous arrivons sans mal à notre première escale nocturne, située à 4700 mètres, soit la hauteur du Mont-Blanc ! Le manque d'oxygène commence à se ressentir et la nuit est bien froide. A trois sous notre petite tente, nous dormons très mal.


Le jour suivant, nous grimpons, durant plusieurs heures, un grand pierrier. Malgré mes vieilles chaussures de sport, éventrées et totalement inadaptées, j'arrive au campo-alto une demi heure avant mes collègues. Pour l'instant, malgré l'altitude élevée, cela reste de la randonnée classique. Le campement est situé à 5700 mètres d'altitude. Ce jour là, le site est très fréquenté car il y a un groupe d'alpinistes européens d'une douzaine de personnes. Au bord de la falaise, il n'est pas facile de trouver une plateforme où poser le tente.










Nous nous couchons à 18h00 car, le lendemain, il nous faut partir à 2h00 du matin. La dernière étape est enneigée et il est nécessaire de la faire de nuit, lorsque la glace est la plus ferme. Durant ces quelques heures de soi-disant repos, Lena, Tomas et moi ne pouvons pas fermer l'oeil une seule minute. La nuit, les températures deviennent glaciales, des rafales de vents balayent la tente et nous avons vraiment du mal à respirer. Tout habillés dans nos sacs-de-couchages résistants à -15 degrés, nous commençons à décompter le temps qui nous rapproche de la délivrance.




Au beau milieu de la nuit, il nous faut nous équiper tous les trois dans notre petite tente. Dehors, il fait trop froid. Il fait trop noir. C'est un véritable exercice de contorsioniste. Je mets dix épaisseurs de vêtements hauts, trois pantalons, trois couvre-chefs, trois paires de gants, deux paires de chaussettes, une paire de bottes glaciaires, des guêtres... Tomas est ébété par l'altitude et n'arrive pas à s'habiller tout seul. Lena doit l'aider. Hors de la tente, le supplice commence. Il doit durer sept heures pour arriver à franchir les 800 derniers mètres qui nous séparent du sommet. Une minute sans se mouvoir et nous sommes transis de froid. Encordés, cramponnés et pioletés, nous partons tous les cinq à l'assaut du glacier. Au bout de vingt minutes, Tomas s'arrête. Il n'en peut plus. Il subit le mal d'altitude. Il est à bout de force et finit par renoncer. Benancio le ramène au campo-alto.







Lena et moi continuons l'ascension cauchemardesque avec Lorenzo. Plus on monte, plus chaque pas, prend une lenteur extrême et devient, en soi, un défi. Il y a si peu d'oxygène dans l'air que tout nouveau mètre de dénivelé, nous oblige à une pause, parfois cassé en deux, à quatre pattes dans la neige, cherchant l'inspiration animale et primaire du nouveau né. Mais l'air froid brûle nos poumons sans les satisfaire. Lorenzo, en premier de cordée, tire sur le cordon qui le relie à Lena. Elle suffoque : " Momento, tranquilo... por favor ! ". Moi, je la suis, collé, pas à pas. Toutes les minutes, je lui dis en Anglais, en Espagnol, en Français : " Bien, c'est bien, très bien ! On va y arriver ! On y est presque ! " Et c'est autant d'encouragements que je me lance à moi-même. "Prends ton rythme, on a le temps, on a toute la nuit pour y arriver! " Lena grommèle des insultes en Flamant. La volonté de cette femme me pousse à l'admiration et me redonne un peu d'énergie. Au fil des heures, on croise certains escaladeurs qui redescendent. Ils abandonnent, trop dur, pas assez en forme ce jour là. Sur les douze alpinistes, tous amateurs confirmés, seul sept d'entre eux arriveront aujourd'hui au sommet ! La montagne impose l'humilité aux hommes qu'elle daigne accepter.



A mi parcours, il nous faut escalader des parois. Sur notre côté, la pente blanche et glacée se précipite, se perd, de manière vertigineuse dans l'obscurité infinie de la nuit. J'ai pris les photos sur le chemin du retour. A la clareté du jour, je réalise qu'au moindre faux-pas de l'un de nous, c'eut été la chute assurée. La corde qui nous relie constitue une responsabilité commune quant à la sécurité de chacun. Lorenzo n'hésite pas à nous engueuler au moindre écart de conduite : " Tu marches sur la corde... Mets pas tes crampons comme ça dans la neige... Le piolet, c'est comme ça qu'il faut l'utiliser... " Je mesure seulement maintenant l'inconscience de notre inexpérience.



Au dernier tronçon du parcours, Benancio, qui nous a rejoint, s'encorde à Lena. Elle est plus lente que moi et je continue seul avec Lorenzo. Les premières lueurs du jour se font sentir et j'encourage Lena une dernière fois avant de la quitter : " On va y arriver, regarde, le jour se lève. C'est beau. L'ombre de la montagne sur la plaine. " " Qu'est-ce que j'en ai à foutre ! ", me répond-elle, les larmes aux yeux. Maintenant, c'est moi qui subit seul le rythme effréné de Lorenzo. J'ai l'impression d'être un chien qu'on tire en laisse. Plusieurs fois, je crois que je vais finir par perdre connaissance. Je ne pense plus qu'au présent : à chaque pas, trouver le meilleur appui pour mes crampons, dans quelques interstices de glace, sur cette pente à 45 degrés. Il n'y a plus de passé, plus de futur. Je ne sais même plus ce que je fais là, face à un présent, terrible à assumer, seul, sans pensées possibles. Lena, quelques dizaines de mètres en dessous, où quelques dizaines de minutes, se bat seule, elle aussi. Je la sens perdue. Je pense qu'elle n'y arrivera jamais. C'est trop dur.



Et puis à un moment, comme une surprise inattendue, la montagne s'arrondit. Je touche au but. Le sommet est là, à porté de quelques pas. Un dernier effort, mes ultimes forces me portent au plateau plat qui surmonte le monstre andin. Ça y est, j'y suis arrivé, c'est fini ! Je regarde l'horizon sans même pouvoir me réjouir. Le vent souffle fort. Il fait froid. Je n'ai qu'une seule idée : redescendre, quitter au plus vite cet enfer glacé. J'ai accompli quelque chose qui ne semble m'apporter aucun contentement. " Quieres que saqué una foto ? " me dit Lorenzo, en prenant mon appareil. Oui, une photo, pourquoi pas ? Je m'en fout. Que m'importe. Je suis sûre que Lena a abandonné. A quoi bon prolonger le supplice. Je suis à bout de forces. Je ne pense qu'à quitter ce lieu qui n'est pas fait pour les Hommes.



A peine ai-je quitté le sommet, que je vois apparaître devant moi, deux silhouettes, dont une combinaison rouge : " Lena ! Non ? Tu es là ! " Cela me remplit de joie, plus que j'en ai ressenti pour moi-même. L'effort a été trop grand. Il faut un catalyseur, une communion, pour comprendre et pouvoir s'émouvoir. Je m'apprête à faire demi-tour pour partager la victoire avec elle. Mais je suis si fatigué. Je ne suis redescendu que de quelques mètres mais je n'ai plus le courage de revenir en arrière. Je laisse Lena seule achever sa course.



La redescente devrait être plus rapide. Elle n'en ai pas moins pénible. Depuis deux jours, je n'ai quasiment pas dormi et je suis littéralement épuisé. A titre d'encouragement, Lorenzo, bougon, me dit : " Ce n'est pas comme ça qu'on redescend avec des crampons ! " Lui aussi est en manque de sommeil et son humeur est acerbe. Je tache de placer au mieux chacun de mes pas dans les épis de glace et je lutte véritablement contre l'endormissement. Je n'ai qu'une envie : m'arrêter là et dormir, réchauffé par les premiers rayons du soleil. La descente, bien que deux fois plus rapide, me semble interminable. A midi, je regagne enfin le campo-alto, après une marche infernale et continue de dix heures ! Tomas nous voit , Lena et moi, redescendre l'un après l'autre, comme des zombies, incapables de tenir sur leur membres décharnés. Cela le conforte dans l'idée que, dans son état, il ne serait jamais arrivé au sommet. Le Sajama a pris en sacrifice nos enveloppes charnelles et nous errons désormais comme des âmes égarées. Pourtant, à peine avons nous rejoint le campo-alto, sans prendre le temps de nous restaurer, il nous faut plier les tentes et, dans la foulée, redescendre cette foutue montagne, de nos pas incertains. A cause du froid et de l'altitude, rester serait plus difficile encore. A 16h00, nous arrivons finalement au campo-bajo, où nous prenons enfin une collation, la première depuis vingt quatre heures ! Cela nous ranime suffisament pour effectuer les deux dernières heures de marche qui nous séparent de notre point de départ. Là, à 4200 mètres d'altitude, nous plantons notre bivouac près d'une fermette abandonnée. L'air nous semble doux et respirable. Dans cette nature bucolique, face au géant blanc, nous pouvons enfin trouver un profond sommeil, fier de notre exploit, que nous ne souhaitons, au grand jamais, renouveler.



Le lendemain et dernier jour, une ultime heure de marche, nous conduit à agua-caliente, une ferme entourée de sources naturelles d'eau volcanique, chaude et sulfureuse. Il y a un petit bassin en pierre, d'une température de 30 degrés, dans lequel nous nous plongeons avec délice. C'est la première fois que je retire mes vêtements depuis trois jours. Face à la montagne qui nous a fait tant souffrir, nous passons une heure dans ce spa naturel qui efface toutes nos peines. Chacun de nous a récupéré ses forces et nous jouissons tous ensemble béatement de ce moment de parfaite harmonie. Le paysage étrange et magnifique appelle à la contemplation. Lena et Tomas sont aux anges. Et si on vivait là pour toujours ?



L'ascension du Sajama est sans doute l'expérience physique et mentale la plus dure de mon existence. Mais je redescends la montagne le coeur chargé d'un trésor difficilement définissable. Et, alors que la veille je portais en horreur le roi andin, je regarde maintenant le Sajama avec l'envie de grimper d'autres montagnes. En Himalaya peut-être ? Avec une meilleure préparation, je me dis que ce doit être moins pénible, que je pourrais peut-être profiter quelques instants, au sommet, du fruit de mes effort. Ai-je le fantasme d'un jour où l'ascension ne serait que du bonheur ou bien suis-je, à jamais, atteins par l'addiction des sommets ?

4 commentaires:

  1. "On ne fait que cocréer. Je ne sais où je vais, ni pourquoi ni comment ce qui me mène au but est d'un autre que moi et je marche ébloui de présence inconnue." (Michel-Ange)
    Seul, mais relié à tout, où les yeux du coeur se dilatent tant du paysage fascinant que de l'exploit accompli. Pénélope.

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  2. Tu nous fait halluciner. Les tofs sont géniales !!!
    Gros becs de Buis, ça fly !

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  3. Waouh, c'est beauuuuuuuuuuu !!!

    Oh Jacques ! Quel périple et quel mental !!! Tu es vraiment impressionnant ! Je suis fière de toi.

    C'est bientôt ton anniversaire et ta petite bouille d'amour me manque tellement !

    Je t'aime, prends bien soin de toi.

    Je t'embrasse de tout mon coeur. Sly

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  4. Je suis très impressionné ! Quelle belle aventure !
    Bonne route,
    Stanko
    (j'suis de retour)

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